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Bonjour. Je m'appelle Laura Tribe, et je suis directrice exécutive d'OpenMedia, un organisme communautaire voué à la promotion d'un Internet ouvert, abordable et exempt de surveillance.
Je suis accompagnée par Tim McSorley, représentant de la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles, qui malheureusement n'a pas été invité à témoigner dans le cadre de cette étude, mais dont la contribution est à nos yeux cruciale pour éclairer l'analyse du projet de loi .
Le travail d'OpenMedia concernant la protection de la vie privée et la sécurité numérique remontent aux projets de loi et , mais nous nous sommes plus particulièrement intéressés aux graves violations de la sécurité introduites par le projet de loi du gouvernement précédent. Notre travail assidu à l'échelle communautaire nous a permis de produire un document intitulé Canada's Privacy Plan, une vision positive de l'avenir de la protection de la vie privée au Canada, qui a fait l'objet d'un sociofinancement de la part de plus de 125 000 contributeurs; d'inciter plus de 300 000 personnes à s'exprimer contre le projet de loi C-51; d'organiser deux journées d'action nationale contre le projet de loi C-51, de concert avec des organismes de tout le pays; d'inviter plus de 15 000 personnes à présenter des observations dans le cadre de la consultation gouvernementale sur la sécurité nationale; et d'obtenir plus de 6 000 mémoires à l'intention du Comité dans le cadre de la consultation sur le projet de loi .
Le rapport de Sécurité publique sur les résultats de la consultation concernant la sécurité nationale a révélé que les Canadiens sont très majoritairement favorables à une plus grande protection de la vie privée. Plus de quatre réponses sur cinq témoignaient de leur désir que les garanties de protection dans l'univers numérique soient les mêmes que dans l'univers physique, voire supérieures.
C'est donc dire que nous avons été soulagés lorsque le projet de loi a été présenté: c'était le signe d'un changement à venir. Cela dit, plus nous avons analysé le projet de loi, plus notre inquiétude a refait surface. Les changements prévus sont moins profonds que nous l'espérions, et de nouveaux pouvoirs effractifs ont même été ajoutés.
Non seulement le projet de loi n'offre pas de solution aux violations introduites par les dispositions du projet de loi en matière de divulgation des renseignements et de discours terroriste, mais il ajoute de nouveaux pouvoirs concernant la collecte de données, la cybersécurité et le partage d'information qui menacent notre vie privée et notre sécurité.
Aujourd'hui, votre comité peut corriger la situation. Plus de 6 000 Canadiens ont fait valoir leurs préoccupations concernant le projet de loi par le biais du mémoire d'OpenMedia déposé dans le cadre de cette consultation. Depuis, c'est-à-dire au cours des deux dernières semaines, presque 10 000 autres personnes ont signé une nouvelle pétition concernant l'expansion des pouvoirs en matière de cyberopérations proposée dans la loi sur le CST selon les dispositions du projet de loi . Elle s'adresse au Comité permanent de la sécurité publique et nationale dans les termes suivants:
« C'est à titre de Canadien inquiet que je vous demande de prendre des mesures afin de protéger ma vie privée et mes droits numériques, tandis que vous étudiez les réformes proposées par le projet de loi . Tout au long du processus de réforme du projet de loi , les Canadiens ont très clairement exprimé leur désir que les mesures drastiques effractives prévues en matière de sécurité nationale soient réduites.
Le Rapport sur ce que nous avons appris de Sécurité publique Canada, lui-même, qui constitue la base du projet de loi a confirmé que la plupart des protagonistes et des experts étaient d'avis que les mesures actuelles devraient être réduites ou complètement supprimées et que la plupart des participants à cette consultation ont “opté pour la protection des droits et des libertés individuels plutôt que pour l'attribution de pouvoirs supplémentaires aux organismes de sécurité nationale et d'application de la loi...”
Les nouveaux pouvoirs du CST en matière de cyberopérations actives et défensives proposés dans le projet de loi s'opposent directement à ce que souhaite la majorité des Canadiens. Nous avons demandé une protection de la vie privée, mais, au lieu de cela, on a un organisme d'espionnage hors de contrôle, doté de pouvoirs encore plus excessifs qu'auparavant.
Des experts en matière de sécurité et de protection de la vie privée de tout le pays ont exposé dans le détail les enjeux que soulève le projet de loi et les changements qui devraient être apportés pour protéger la sécurité et la vie privée des Canadiens. Ils nous ont prévenus des conséquences que l'octroi de ce genre de pouvoirs pourrait entraîner, et ces pouvoirs seront d'autant plus à craindre que le projet de loi ne prévoit pas de mesures de surveillance suffisantes.
J'aimerais attirer votre attention sur le rapport intitulé Analysis of the Communications Security Establishment Act and Related Provisions in Bill , produit par le Citizen Lab et la Clinique d'intérêt public et de politique d'Internet du Canada, ou CIPPIC. Les mesures qui y sont recommandées devraient être adoptées par le comité SECU.
Dans un monde et à une époque où les technologies numériques sont si souvent employées pour menacer notre sécurité numérique, notre gouvernement devrait participer à l'instauration d'un monde meilleur au lieu de compromettre activement notre sécurité. »
À ce jour, notre pétition a été signée par 9 633 Canadiens. C'est au nom de ces signataires, des plus de 300 000 personnes qui se sont opposées au projet de loi conservateur et des autres groupes de la société civile qui ne sont pas représentés ici que nous vous demandons respectueusement de corriger la situation. C'est à vous, nos représentants élus, que nous demandons de défendre notre vie privée et de continuer le travail d'abrogation des dispositions du projet de loi . La sécurité numérique est indispensable à l'infrastructure du Canada, à son économie et à son avenir. Je vous en prie, ne les compromettez pas en donnant le flanc à la crainte ou pour emboîter le pas aux pays dont les mauvaises pratiques nous précipitent par le fond. Nous devons nous montrer plus forts que ça.
Je vous remercie.
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Merci. Je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour représenter la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles et ses 45 organismes membres. Je tiens à remercier OpenMedia de nous avoir invités.
J'aimerais aborder trois questions essentielles: premièrement, l'examen et la surveillance; deuxièmement, certains des changements apportés à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité; et, troisièmement, la liste d'interdiction de vol.
Concernant la surveillance et l'examen, la Coalition accueille très favorablement la création de l'Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, ainsi que du poste de commissaire au renseignement. Mais nous estimons que ces organisations pourraient être considérablement consolidées. Nous espérons que le Comité et le gouvernement saisiront cette occasion de veiller à ce que l'Office et le commissaire au renseignement soient dotés des pouvoirs et des ressources dont ils auront besoin pour mener à bien leurs tâches importantes. D'autres vous ont donné leur avis, que nous appuyons largement, au sujet du commissaire au renseignement. Je vais donc plutôt vous parler de l'Office.
La Coalition est depuis longtemps favorable à l'établissement d'un mécanisme d'examen global pour garantir que les droits des Canadiens ne sont pas enfreints et pour surveiller l'efficacité des activités du Canada en matière de sécurité nationale. Le projet de loi élimine les silos qui ont empêché divers organismes d'examen de faire leur travail, et cela seul est déjà une importante amélioration.
Nous invitons cependant le Comité à s'intéresser à trois moyens de consolider l'Office. Premièrement, pour garantir son indépendance, nous proposons que les membres de l'Office soient nommés par le biais d'un vote au Parlement et non par le gouverneur en conseil. Deuxièmement, le mécanisme de règlement des plaintes prévu dans la loi sur l'Office ne devrait pas seulement s'appliquer à la GRC, au SCRS, au CST et aux questions d'habilitation de sécurité, mais aussi, à tout le moins, aux activités de l'ASFC et d'Affaires mondiales en matière de sécurité nationale, bien que, en fait, il devrait s'appliquer à l'ensemble des activités du gouvernement fédéral en matière de sécurité nationale.
Troisièmement, le SCRS a fait l'objet de critiques importantes en raison du manque de transparence de son système de règlement des plaintes. En fait, une poursuite judiciaire est en cours à ce sujet. Nous avons également exprimé notre inquiétude concernant le fait que le SCRS ne peut pas formuler de recommandations exécutoires. La loi sur l'Office reconduit ces problèmes dans le nouvel organisme. Nous invitons instamment le Comité à profiter de l'occasion pour améliorer le modèle du SCRS et veiller à ce que nous ayons un organisme d'examen général solide et efficace.
Ensuite, concernant les changements à apporter à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, des pouvoirs ont été octroyés à cet organisme dans le projet de loi en matière de réduction de la menace, et ils ont été vivement critiqués à l'époque. Le projet de loi tente d'apporter une solution à certains de ces problèmes en limitant les pouvoirs de l'organisme à une série d'activités précises. Mais nous devons réitérer, avec la dernière énergie, notre opposition à l'octroi, à un organisme de renseignement qui fonctionne en secret, de pouvoirs semblables à ceux d'organismes d'application de la loi.
Le temps dont je dispose ne me permet pas d'aborder l'ensemble de nos préoccupations, mais il y a, au coeur de ces préoccupations, le fait que la création du SCRS était censée séparer les activités de renseignement des activités d'application de la loi. Or, de nos jours, les mêmes questions se posent. Même dans les cas exigeant un mandat, nous estimons qu'un système non antagoniste ne garantira pas la protection des libertés civiles d'une cible. Nous ne croyons pas qu'il faut se demander « si » le système va enfreindre les droits d'une personne, mais bien « quand ».
Nous sommes également inquiets des nouveaux pouvoirs accordant l'immunité aux agents du SCRS pour les actes ou omissions qui, dans d'autres circonstances, seraient considérés comme des infractions à la loi. L'Association du Barreau canadien, entre autres, a exprimé de graves préoccupations lorsque ces pouvoirs ont été accordés aux agents d'application de la loi, estimant qu'ils étaient contraires au principe de la primauté du droit. C'est, à notre avis, encore plus le cas lorsque ces pouvoirs sont accordés à des agents du renseignement dont les activités sont secrètes, et nous pensons que cette disposition devrait être retirée du projet de loi .
Enfin, concernant la Loi sur la sûreté des déplacements aériens, nous appuyons les énormes efforts déployés par No Fly List Kids et d'autres groupes pour faire valoir un mécanisme de recours. Mais nous pensons que le gouvernement devrait aller plus loin et régler les problèmes plus fondamentaux de son système de listes d'interdiction de vol. Le projet de loi ne règle pas les questions soulevées depuis 2007 en matière d'application régulière de la loi. Nous ne pouvons pas entériner un système qui sert à limiter les déplacements de personnes et à les inscrire sur ce qui est ni plus ni moins qu'une liste de surveillance de terroristes, mais qui ne leur permet pas d'avoir accès à tous les renseignements les concernant pour pouvoir se prévaloir d'une défense pleine et entière. Il reste encore à nous convaincre que cela améliore les dispositions du Code criminel existantes qui permettent de limiter les activités d'une personne soupçonnée de planifier un crime. Nous mesurons l'intérêt que représentent les solutions possibles proposées par d'autres, comme l'insertion d'un système de défense spécial dans la procédure d'appel, mais nous ne croyons pas que cela suffise à rétablir le principe de l'application régulière de la loi. Nous maintenons notre opposition fondamentale et nous demandons l'abrogation du système des listes d'interdiction de vol.
Pour que le Comité soit informé plus en détail sur nos prises de position, nous vous avons envoyé un mémoire qui, je crois, vous a été distribué hier. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions ou de poursuivre la discussion avec ceux qui le souhaiteront après la réunion.
Merci.
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Je crois qu'il y a beaucoup de menaces très réelles pour notre pays et que beaucoup d'entre elles sont des cybermenaces. Je pense que notre communauté craint qu'il s'agisse dans les faits d'une course aux armements cybernétiques visant à déterminer qui peut construire les outils les plus gros et les plus destructeurs le plus rapidement. Nous cherchons à accroître notre sécurité, à augmenter notre niveau de protection, ainsi qu'à nous protéger contre ces types de menaces, sans développer de vulnérabilités et d'outils qui peuvent être interceptés et utilisés à mauvais escient par d'autres gouvernements ou d'autres acteurs malveillants, qui tentent de mettre au point de tels outils pour eux-mêmes.
Nous aimerions beaucoup croire que si le Canada se dote de ces outils, il peut en assurer la sécurité, mais nous avons constaté que ce n'est pas le cas. Je suis certaine que la NSA a eu la même impression concernant de nombreux outils qu'elle élabore. Nous avons constaté qu'ils pouvaient être utilisés à mauvais escient. Nous avons vu qu'ils pouvaient servir à tirer parti de situations et à en exploiter les vulnérabilités, comme ce qui a fini par se produire pour les activités des services de santé nationaux du Royaume-Uni. Ce sont là les genres d'abus que nous souhaitons prévenir de façon proactive au Canada, en vue d'accroître notre sécurité dans les faits, de mettre en place ces mesures de protection et de nous donner les outils pour nous protéger.
Alors qu'à court terme, cela peut sembler facile... Désolée, je ne devrais pas dire cela; je ne pense pas que tout cela semble facile, parce qu'il pourrait sembler plus simple d'essayer de mettre au point les outils nous permettant de nous en prendre à nos opposants, avant que ce soient eux qui le fassent. Je pense qu'au bout du compte, cela crée des outils supplémentaires que nous ne voulons pas. Cela ne fait que perpétuer cet environnement, dans lequel nous faisons face à des acteurs malveillants, que nous craignons, ainsi qu'une culture de la peur. Je crois qu'il existe de nombreux outils de sécurité numérique proactifs que nous pouvons développer nous-mêmes pour assurer notre sécurité. Je crois que le CST possède déjà beaucoup de compétences, mais je suis d'avis que les cyberopérations actives, et plus particulièrement celles qui visent à déployer des outils à l'étranger, posent un grand risque pour la sécurité du Canada, dans la façon dont elles pourraient être exploitées.
Je crois que nous avons confondu activisme citoyen et surveillance de l'État, mais il s'agit d'un tout autre débat.
J'aimerais poser une question au sujet de la notion d'information accessible au public dans le projet de loi. Lorsque l'Association du Barreau canadien était ici, nous avons discuté du fait qu'il n'existe pas réellement de jurisprudence ou de définition dans le droit canadien sur ce qu'est l'information accessible au public. Je pense que beaucoup de gens ont supposé, peut-être à tort, que cela signifie essentiellement que si l'on cherche quelque chose sur Google maintenant, il s'agit d'information accessible au public. Certains témoins ont mentionné qu'il pourrait s'agir d'information vendue à des fins publicitaires par les médias sociaux ou les moteurs de recherche comme Google, et que cela pourrait même aller plus loin. Je sais que chez OpenMedia, vous avez été très actifs relativement à certaines de ces « clauses numériques », faute d'un meilleur terme, dans les accords commerciaux notamment, ce qui sans doute, compte tenu de la vaste discussion qu'a suscitée la notion d'information accessible au public, pourrait potentiellement correspondre à ce que les entreprises font lorsqu'elles sont en mesure d'échanger librement de l'information au-delà des frontières de cette façon.
Tout d'abord, je me demande ce que signifie information accessible au public pour vous. En deuxième lieu, pourquoi cela serait-il préoccupant dans le contexte de ce qui est présenté ici, tant du point de vue des ensembles de données pour le SCRS que des capacités du CST?
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La majorité des commentaires que nous avons reçus, en fait, la presque totalité des commentaires soumis par la communauté d'OpenMedia, ne parlaient pas de compromis au chapitre de la protection de la vie privée. Je crois qu'il est dit dans les résultats de la consultation que plus de 80 % des mémoires allaient dans le sens d'une augmentation de la protection de notre vie privée, estimant que nous avions déjà dépassé les limites de cette protection, au nom de la sécurité nationale, et qu'il n'y avait pas d'équilibre.
Je pense que c'est le plus gros problème auquel nous sommes confrontés, c'est-à-dire agir comme si nous devions sacrifier tous nos renseignements personnels pour être en sécurité. Dans les faits, nous n'avons pas vu de preuve que la surveillance de masse et la collecte massive de données ont contribué à prévenir les incidents au chapitre de la sécurité nationale. Nous n'avons pas vu de preuve non plus qu'il manquera d'information à l'avenir, ou que nous obtenons les renseignements dont nous avons besoin.
Tout ce que nous avons vu, c'est que les Canadiens ont peur. Ils ont peur de l'information que le gouvernement recueille sur eux. Ils craignent la façon dont cette information pourrait être utilisée à mauvais escient à l'avenir, peut-être pas par le gouvernement actuel, mais par le suivant, ou l'autre après.
Nous avons vu beaucoup de peur après le changement de gouvernement aux États-Unis concernant la façon dont l'information est utilisée à mauvais escient et ce qui se produit lorsque cette information se retrouve dans diverses mains, à l'intérieur même du gouvernement. S'il arrivait que cette information tombe entre les mains de quelqu'un de l'extérieur du gouvernement, ce qui n'arrivera jamais, nous l'espérons, nos agences de renseignements seraient elles-mêmes compromises. Nous avons recueilli de l'information au sujet de nos propres citoyens, et nous continuons d'en recueillir et de la mettre entre les mains d'autres gouvernements. Cela est terrifiant.
Je crois que ce que notre communauté souhaite, c'est qu'on lui prouve que cette information est nécessaire, qu'elle est utile.
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Bon. Nous craignons que, sans une redéfinition annuelle des ensembles de données... c'est cela qui est inquiétant. Nous estimons qu'il faudrait définir plus clairement ce que ces ensembles de données pourraient et devraient être.
De plus, nous craignons, comme d'autres l'ont souligné, que tout au long du processus de collecte de ces ensembles de données, il y ait un seuil changeant pour ce qui peut être recueilli, ce qui peut être conservé et ce qui peut être consulté. Au lieu de permettre la collecte d'une telle quantité d'informations pour la restreindre ensuite au fur et à mesure, il s’agirait d’établir rigoureusement et dès le départ quelles informations peuvent être saisies dans ces ensembles de données.
Aussi, comme nous l'avons déjà dit, il est préoccupant que l'information accessible au public puisse constituer une forme d'ensemble de données.
Une autre inquiétude à l’égard des ensembles de données du SCRS touche à la question du seuil inférieur auquel il sera possible d'avoir accès à l'information faisant partie des ensembles de données canadiennes aux fins du renseignement étranger, alors que ce seuil est plus élevé lorsqu’il s’agit d’interroger les bases de données à des fins nationales. Nous croyons que, pour régler ce problème, il faut des autorisations et des seuils plus rigoureux au départ. Comme nous l'avons mentionné, il faut aussi plus de transparence et accroître les pouvoirs du commissaire au renseignement pour qu’il puisse vérifier ces ensembles de données et ces autorisations.
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Une de nos préoccupations, au-delà des échanges entre gouvernements et entre ministères canadiens, est de savoir comment le réseau du Groupe des cinq et tous les organismes qui en font partie sont alimentés. Je pense que l’information fournie par le MAE à la GRC en est un excellent exemple.
L'un des soucis majeurs, je crois, est que nous ne savons pas combien d'ententes de partage d'information le Canada a conclues et le fait que nous ne disposons d’aucune information à ce sujet. Nous ne savons pas avec qui les ententes ont été conclues. Nous ignorons quelles sont nos alliances ou de quoi il s'agit. Lorsque le gouvernement du Canada obtient nos renseignements, que nous les communiquions ou qu’il les recueille directement, nous ignorons leur destinée. Inversement, quand nous souscrivons des ententes avec d'autres pays, nous ne savons pas comment cette information peut revenir au Canada.
En outre, notre communauté n’a de cesse de répéter que, quelle que soit l'information dont il s'agit, n'importe qui peut éventuellement l'obtenir dans le réseau des organismes membres du Groupe des cinq ou de n'importe quel ministère des pays alliés. Une fois qu'une information est saisie dans un ensemble de données, elle l’est dans celui de tout le monde. La principale inquiétude concerne l’exactitude des registres et la façon dont ces données peuvent être utilisées à mauvais escient. Je pense que le cas de Maher Arar est un excellent exemple des conséquences les plus extrêmes qui peuvent se produire dans ce contexte.
Il peut également s’agir de choses toutes simples comme les listes d'interdiction de vol, toutes sortes de situations où de simples erreurs d'identité commises par un autre organisme à l'extérieur du gouvernement canadien peuvent enclencher une interminable spirale pour la façon dont nos renseignements sont traités au pays, et vice versa. Je pense que c'est là qu'il serait très utile de définir qui peut partager les renseignements et avec qui, et quelles sont ces ententes de partage de l'information.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Merci à tous deux d'être venus aujourd'hui.
Pour ne rien vous cacher, Steve Anderson, fondateur d'OpenMedia, était mon compagnon de chambre à l'Université Western il y a une vingtaine d’années, alors ne manquez pas de lui dire bonjour de ma part.
Quoi qu'il en soit, je veux commencer par Mme Tribe, si vous le permettez, et donner suite à certaines questions que nous avons entendues au sujet du CST.
Le Comité a entendu de nombreux témoignages sur les menaces qui pèsent sur les infrastructures essentielles du Canada: les réseaux hydroélectriques, l'énergie nucléaire, le système bancaire et, en particulier, l'information sur la santé. Je prends très au sérieux ce que vous dites au sujet du CST, même si je ne suis pas d'accord, car je pense que nous devons avoir une capacité offensive pour la protection de ces infrastructures essentielles.
J'aimerais savoir ce que vous conseilleriez à ce gouvernement ou à tout autre gouvernement canadien pour se prémunir contre les menaces bien réelles qui existent dans le cyberespace ou les cyber-réseaux? Ce n'est pas une question tendancieuse; je suis sincère en la posant.
Permettez-moi tout d’abord de vous remercier tous de l’excellente occasion que vous m’offrez et d’avoir entrepris la tâche essentielle d’étudier le projet de loi . C’est vraiment un honneur et un privilège pour moi d’être parmi vous aujourd’hui.
On m’a demandé de me concentrer sur la partie 3 du projet de loi , la Loi sur le CST, et c’est mon intention. En général, je suis convaincu qu’il est essentiel de mettre à jour les pouvoirs archaïques régissant le CST et de lui donner une solide base législative. Or, j’appuie tout à fait l’élaboration d’une loi sur le CST. En fait, il m’apparaît évident que le fruit de cet effort est un projet de loi soigneusement rédigé qui tente de concilier les besoins opérationnels du CST quant à la protection de la sécurité nationale du Canada avec l’attachement de notre pays à la démocratie et à la primauté du droit.
Évidemment, il y aura beaucoup de travail à faire, étant donné la taille et la complexité de cette mesure. Cela fait partie du jeu. À cet égard, j’ai eu le grand avantage de lire les mémoires et les témoignages des témoins qui ont déjà comparu devant le Comité. Bien que chaque témoin ait fait des commentaires réfléchis dont je vous encourage fortement à tenir compte, j’ai le sentiment général qu’aucun de nous ne peut prévoir tous les défis juridiques ou opérationnels à venir.
C’est la réalité qui entoure l’étude d’un projet de loi aussi vaste, important, complexe et très technique. Par conséquent, plus que toute autre chose, il est essentiel que l’examen de la Loi sur le CST soit exhaustif et minutieux et qu’il se poursuive, particulièrement lors des tout premiers jours et années. Il ne s’agit pas d’une loi qui devrait ressembler exactement à ce qu’elle est aujourd’hui, ou sera l’été prochain, ou lorsqu’elle sera examinée la première fois, plusieurs années après son adoption. Elle devra être mise à jour pour suivre l’évolution technologique, opérationnelle et juridique.
À mon avis, la meilleure façon de procéder serait de miser sur un examen et un contrôle rigoureux, de sorte que les questions qui surgiront au cours des prochains jours et des prochaines années soient portées à l’attention du Parlement, du public et du CST lui-même et qu’il soit possible d’apporter les correctifs nécessaires le moment venu.
Ni la loi ni la sécurité du Canada ne sont bien servies si les lignes de faille juridiques ou opérationnelles du CST demeurent camouflées dans l’ombre et je crois que le CST serait d’accord avec ce sentiment. C’est pourquoi je vous encouragerais tout d’abord à adopter la recommandation du professeur Kent Roach selon laquelle l’examen envisagé dans la partie 9 de la loi doit avoir lieu le plus tôt possible.
Il en va de même pour la recommandation du commissaire du CST, à savoir que le commissaire au renseignement que propose cette mesure devra produire un rapport sur ses autorisations, qui sera déposé chaque année devant les deux chambres. De plus, il faudra s’assurer que le commissaire au renseignement surveillera convenablement toutes les activités qui impliquent une attente raisonnable quant à la protection de la vie privée et donc l’article 8 de la Charte.
Trois choses me viennent à l’esprit à cet égard. Premièrement, le commissaire du CST a recommandé que le paragraphe 37(3) du projet de Loi sur le CST soit modifié de manière à exiger l’approbation du commissaire au renseignement relativement aux autorisations ministérielles de prolonger les opérations de renseignement à l’étranger. En effet, si l’opération initiale nécessite l’approbation du commissaire au renseignement, il en va de même pour tout suivi. On peut soutenir que le commissaire au renseignement disposera de plus d’informations sur lesquelles fonder sa décision à cette étape de la nouvelle autorisation. Plus précisément, c’est à ce stade que nous verrons si, et dans quelle mesure, la collecte fortuite de contenu canadien fait partie de la collecte de renseignements à l’étranger.
Cela m’amène assez naturellement à mon deuxième argument. Je vous encourage à axer votre examen juridique de ce projet de loi sur les articles qui portent sur la collecte fortuite de renseignements lesquels, comme nous le disons couramment, n’impliquent pas les Canadiens. Par le passé, y compris récemment aux États-Unis et au Canada, nous avons constaté que le manque de surveillance à l’égard de ce genre d’informations recueillies incidemment peut causer une grande controverse juridique et politique que personne, à mon avis, ne recherche.
Dans le contexte du projet de loi sur le CST, je vous encourage donc à adopter la recommandation du professeur Craig Forcese de modifier les paragraphes 23(3) portant sur la collecte de renseignements à l’étranger et 23(4) portant sur la cybersécurité. Ainsi, le CST serait tenu de demander une autorisation ministérielle, et donc la surveillance du commissaire au renseignement, lorsque ses activités contreviendront à une loi du Parlement, comme le projet de loi le dit actuellement, ou impliqueront l’acquisition de renseignements là où un Canadien ou une personne au Canada a des attentes raisonnables en matière de vie privée.
Notre charte exige un contrôle lorsqu’il existe une attente raisonnable en matière de vie privée. Par conséquent, il est très difficile de voir comment, sans l’autorisation ministérielle et la surveillance du commissaire au renseignement, la collecte massive de renseignements qui implique une attente raisonnable en matière de vie privée, laquelle pourrait être permise selon le libellé actuel, serait recevable devant n’importe quel tribunal au Canada.
En troisième et dernier lieu, je crois que certains témoins vous ont exprimé leurs préoccupations quant à la collecte de données accessibles au public sans surveillance de la part du commissaire au renseignement. Je serais heureux de vous donner plus de détails à cet égard pendant la période des questions. Pour l’instant, je dirais simplement qu’on peut certainement appuyer l’exclusion des données publiques. Si le public y a accès, il n’est certainement pas nécessaire que le CST obtienne une autorisation pour faire la même chose, du moins, cela pourrait être le cas en théorie.
Mais les renseignements accessibles au public ne sont pas tous identiques. L’information en vrac accessible au public, que posséderait l’État, est très différente de cette information dans les mains d’une personne comme vous ou moi. Par exemple, les renseignements obtenus illégalement, les mots de passe piratés, peuvent devenir publics, mais ils seront néanmoins considérés comme des renseignements privés — du moins aux yeux de ceux qui les détiennent. De plus, des informations publiques discrètes peuvent sembler inoffensives en soi, mais lorsque l’État les regroupe pour produire des analyses de mégadonnées que le public peut également acheter pour ensuite les colliger, l’amalgame d’informations publiques peut offrir des aperçus très privés sur la vie des personnes. Évidemment, tout cela vient s’ajouter à l’idée, qui s’applique déjà dans le cas de certains renseignements accessibles au public, que, dans le bon contexte, l’information publique peut elle-même impliquer une attente raisonnable en matière de vie privée et, par conséquent, mettre à nouveau en cause l’article 7 de la Charte.
Autrement dit, le simple fait qu’un renseignement soit accessible au public ne le soustrait pas nécessairement aux mesures de protection de la vie privée prévues par notre Charte. Cela aura bien entendu un impact sur la façon dont cette information pourra être utilisée et partagée. Là où le commissaire au renseignement exerce une surveillance, par exemple, cette information publique privée pourrait être partagée avec la GRC à des fins de poursuites. Faute d’une telle surveillance, l’information recueillie en violation de la Charte ne pourrait probablement pas être utilisée à l’appui de telles poursuites.
Bref, à moins que le CST recueille des renseignements publics sous le contrôle du commissaire au renseignement, il y a de bonnes raisons de craindre que nous ayons des problèmes de sécurité et de liberté.
Je vous remercie de votre attention.
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Merci. Je partagerai mon temps de parole avec M
e Matas.
Nous remercions le Comité de nous avoir invités à comparaître. Je ferai quelques remarques liminaires. Mon collègue David Matas, notre conseiller juridique principal, expliquera davantage certains de nos principaux arguments quant à ce projet de loi.
Fondée en 1875, B’nai Brith Canada est la plus ancienne organisation nationale juive du pays. Nous défendons depuis longtemps les droits de la personne des Juifs canadiens et des autres citoyens à travers le pays. Nous défendons les intérêts de la communauté juive du Canada ainsi que ses droits, comme la liberté de conscience et de religion.
B’nai Brith Canada a témoigné devant ce comité en 2015 et, plus récemment, en février 2017, au sujet de ce qui était alors le projet de loi . Notre témoignage d’aujourd’hui reprendra les mêmes arguments que nous avons déjà soulevés et nous nous concentrerons sur des domaines précis qui touchent au travail que nous faisons, en particulier la partie 7.
Notre dernier rapport sur les incidents d’antisémitisme au Canada fait état d’une vérité essentielle: les juifs sont constamment la cible de crimes motivés par la haine et les préjugés au Canada à un taux plus élevé que tout autre groupe identifiable. Statistique Canada a récemment publié son rapport sur les crimes haineux déclarés par la police en 2016; une fois de plus, les juifs ont été le groupe le plus ciblé au pays. Mais les crimes haineux déclarés par la police ne sont que la pointe de l’iceberg. Nous avons besoin de meilleurs outils — des données et des analyses — pour mieux comprendre tous les crimes haineux et mieux les contrer.
Le projet de loi propose de modifier le Code criminel afin d’améliorer l’efficience et l’efficacité du régime de listes d’entités terroristes. Nous appuyons ces mesures, qui prévoient un examen ministériel échelonné des entités inscrites et confèrent au ministre le pouvoir de modifier les noms, y compris les pseudonymes, de ces entités.
Par le passé, B’nai Brith a appuyé les mesures visant à habiliter les responsables de la sécurité à criminaliser la préconisation et la fomentation du terrorisme et à saisir la propagande terroriste. Nous avons appuyé ces mesures pour empêcher ceux qui veulent inspirer, radicaliser ou recruter des Canadiens pour commettre des actes de terrorisme et qui exploitent la latitude juridique qui leur permet de propager des paroles astucieuses, mais dangereuses. Le projet de loi vise à modifier la définition juridique de cette infraction, en remplaçant « préconiser ou fomenter » par « conseiller » la commission d’infractions de terrorisme. Il s’agit d’un affaiblissement de la loi qui, à notre avis, est inutile. Nous avons pris note des assurances que le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile a données, mais nous ne savons toujours pas si un tel changement, qui, à notre avis, affaiblit la loi, est nécessaire.
Remplacer « préconiser ou fomenter » par « conseiller » aura également un impact sur la définition de « propagande terroriste ». Le projet de loi supprimerait de cette définition la préconisation et la fomentation des infractions terroristes en général. Cela affaiblirait aussi la loi.
Nous admettons que le droit à la liberté d’expression est important, mais le droit des victimes potentielles d’être à l’abri du terrorisme et de la menace terroriste doit avoir une plus grande priorité.
Il est important de bien définir les sanctions en matière de préconisation et de fomentation du terrorisme et de veiller à ce qu’elles portent aussi sur la glorification du terrorisme, laquelle devrait nous préoccuper tous.
Voilà les éléments précis dont je voulais vous parler. Il y en a d’autres qui, même s’ils ne font pas partie des modifications proposées au projet de loi , sont intimement liés et qui intéressent et préoccupent B’nai Brith Canada. Il existe d’autres éléments et j’aimerais en souligner quelques-uns.
L’omniprésence de l’antisémitisme, des crimes haineux et du discours haineux au Canada ne touche pas seulement la communauté juive. B’nai Brith Canada est d’avis que ces tendances inquiétantes sont des questions de sécurité nationale. Des organismes comme le nôtre qui travaillent avec les forces de l’ordre à l’échelle fédérale, provinciale et municipale doivent régler ces problèmes conjointement.
La politique du gouvernement visant à contrer la radicalisation des jeunes est également extrêmement importante. Nous appuyons le travail du Centre canadien d’action communautaire et de prévention de la violence. Nous nous réjouissons à la perspective d’un dialogue plus soutenu avec eux.
Comment pouvons-nous collaborer pour mieux surveiller les groupes qui se livrent à des discours haineux ou qui incitent la haine chez les enfants, y compris ceux qui utilisent des messages codés et néanmoins menaçants, même lorsqu’il ne s’agit pas d’actes criminels? C’est là l’objectif principal de la lutte contre la radicalisation à un stade précoce, où la société civile peut mieux dialoguer avec les forces de l’ordre.
Comment pouvons-nous faire en sorte que les agences gouvernementales évitent les organismes et les groupes douteux, en particulier ceux qui reçoivent des subventions gouvernementales et qui, malgré tout, agissent d’une manière contraire aux droits et libertés fondamentaux de la société canadienne? Nous serions heureux de participer à un dialogue à cet égard.
Pour terminer, comment pouvons-nous mieux dialoguer avec l’Agence du revenu du Canada afin d’assurer un suivi diligent des plaintes concernant les organismes qui s’adonnent à des propos haineux ou qui appuient ceux qui expriment des propos contraires à leur statut d’organisme de bienfaisance?
Comme je l’ai mentionné, nous soulignons d’autres éléments dans notre mémoire. Je suis certain que nous pourrons en discuter lors de la période des questions.
J’aimerais céder la parole à mon collègue David Matas.
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Je vous remercie de nous avoir donné l’occasion de vous rencontrer.
Je désire limiter mes observations à un élément particulier du projet de loi, soit la proposition de remplacer préconiser ou fomenter par conseiller la commission d’infractions de terrorisme dans le Code criminel. Nous sommes sensibles à la raison que le gouvernement a invoquée pour justifier cet amendement. Toutefois, nous sommes d’avis que la proposition est problématique.
Le ministre de la Sécurité publique, Ralph Goodale, s’est dit préoccupé par l’absence de poursuites en vertu de la loi actuelle. Il a dit avoir proposé ce changement dans le but d’inscrire une terminologie plus claire et courante dans la loi afin de faciliter les poursuites. Bien entendu, nous sommes également préoccupés par l’absence de poursuites en vertu de la loi actuelle. Toutefois, il est loin d’être évident qu’on résoudra le problème en remplaçant préconiser ou fomenter par conseiller la commission d’infractions de terrorisme.
D’abord, nous soulignons, comme la Coalition pour la surveillance internationale des libertés civiles vous l’a déjà dit dans son mémoire, qu’il existe une opinion selon laquelle le délit de conseiller une infraction est superflu parce qu’il existe déjà dans le Code criminel. Si cette opinion est fondée et que l’infraction y est déjà inscrite, le fait d’ajouter « conseiller le terrorisme » à l’infraction de le préconiser ou de le fomenter ne réglera pas le problème des poursuites inactives. Dire la même chose deux fois ne donne pas lieu à des poursuites. Si l’incitation à commettre une infraction terroriste n’est pas poursuivie en vertu de la loi actuelle, il n’y a aucune raison qu’elle le soit en vertu de l’adoption d’une nouvelle disposition identique.
Bien sûr, l’autre interprétation est que l’amendement proposé pour ce qui est de conseiller une infraction ajoute quelque chose de nouveau, qu’il ne s’agit pas simplement d’un dédoublement par rapport à l’infraction qui existe. Toutefois, si c’est le cas, l’avantage que le ministre a vanté, à savoir la connaissance d’une norme déjà en place, n’existe pas. Si cette infraction de conseiller quelqu’un à commettre un geste terroriste est différente des infractions existantes, alors la nouvelle loi aura les mêmes problèmes de croissance que la loi existante où il est question de préconisation et de fomentation.
La raison que le ministre a invoquée pour justifier l’adoption d’une terminologie plus courante pour faire fonctionner la loi est d’autant plus contredite par le fait que préconiser et fomenter des actes de terrorisme ne sont pas des infractions nouvelles et différentes. Préconiser le génocide ou l’activité sexuelle avec une personne de moins de 18 ans sont des infractions qui existent déjà. Il en est de même pour ce qui est de fomenter le génocide et la haine. Dans la documentation écrite que j’ai fournie, je passe en revue un certain nombre de dossiers portés devant la Cour suprême du Canada qui examinent, définissent et délimitent ces infractions de préconiser ou de fomenter. Par conséquent, nous disposons déjà de nombreuses directives juridiques sur la signification de ces concepts.
Un examen du Code criminel et de la jurisprudence n’appuie pas l’idée que les procureurs sont restés les bras croisés parce qu’ils ne comprennent pas bien le sens de la loi actuelle ou qu’ils sont préoccupés par sa portée excessive.
Le ministre a identifié un réel problème: l’échec des poursuites en vertu de la loi existante malgré la multitude de violations apparentes. La solution qu’il propose, à notre avis, ne s’attaque pas directement au problème. Nous croyons que la solution se trouve ailleurs. On doit accorder une plus grande priorité aux poursuites relatives à l’incitation au terrorisme menées par les procureurs de la Couronne. Il faut davantage de ressources, d’expertise et de formation. Il faut davantage de coopération internationale, d’échanges d’expériences et d’apprentissage réciproque, y compris avec Israël, qui a dû faire face à ce problème.
Nous encourageons le Canada à signer et à ratifier la Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme, qui comporte l’obligation spécifique d’interdire la provocation publique au terrorisme. La ratification du traité permettrait non seulement une collaboration plus étroite entre le Canada et des États qui combattent le terrorisme, mais elle ferait aussi en sorte que la jurisprudence des autres pays et de la Cour européenne des droits de l’homme, qui interprètent les dispositions pertinentes du traité, ait une incidence directe sur le Canada.
Le gouvernement pourrait publier des lignes directrices facultatives quant à son interprétation des termes préconiser ou fomenter le terrorisme. Les lignes directrices ne lieraient pas les procureurs, mais pourraient aider à dissiper l’ambiguïté. Mon collègue Michael Mostyn a déjà formulé la suggestion que les lignes directrices devraient stipuler que glorifier le terrorisme équivaut à le préconiser ou à le fomenter.
Nous sommes heureux que le gouvernement et le Comité accordent l’attention qu’elle mérite à la lutte contre l’incitation au terrorisme. Il n’en demeure pas moins que nous devons tous choisir la meilleure voie à suivre pour combattre ce fléau.
Je vous remercie.
[Traduction]
Je remercie tous les témoins de leur présence parmi nous aujourd'hui.
J'aimerais commencer par B'nai Brith, si vous me le permettez.
Dans votre intervention, vous avez fait mention du récent rapport de StatCan au sujet des crimes haineux. Plusieurs témoins nous ont parlé de sécurité nationale, de certaines conceptions de la sécurité nationale et de la manière dont celles-ci définissent les menaces qui pèsent sur notre pays. J'en ai conclu qu'il s'agit d'une question de point de vue. Daech représente une menace à l'endroit du Canada et des autres États démocratiques, mais il existe aussi d'autres menaces.
Monsieur Mostyn, pourriez-vous nous faire part de votre point de vue sur la menace provenant des groupes antisémites d'extrême droite et la signification de ces actes pour la communauté juive au Canada? Je crois que la notion de point de vue peut nous aider à comprendre de façon précise la nature des menaces qui planent sur le pays. À mon avis, on ne peut isoler seulement une, deux ou trois menaces.
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Je vous remercie pour votre question, que je juge très importante. Elle met en relief le fait que ces actes haineux sont très interreliés et qu'ils représentent une marche vers la radicalisation et vers le terrorisme, dans certains cas. Comme vous l'avez dit, il y a actuellement une certaine résurgence de l'extrême droite et du mouvement néo-nazi. En Allemagne, une Canadienne, Monika Schaefer, se trouve actuellement en prison pour sa promotion du déni de l'Holocauste. Elle possède la double citoyenneté. Par le passé, elle a été candidate pour un parti politique ici même au Canada.
Là où l'extrême droite antisémite et l'extrême gauche antisémite se rejoignent, malheureusement, c'est, semble-t-il, dans leur haine des Juifs, une haine qu'ils expriment très ouvertement. Il est frappant de constater que, dans le processus qui mène une personne à commettre une infraction au Code criminel en raison d'un discours de propagande haineuse ou à aller plus loin encore en perpétrant un acte terroriste, la promotion ou l'incitation au terrorisme passe toujours par le dénigrement d'un groupe cible. Le dénigrement s'exprime d'abord en termes généraux. Ensuite, le groupe cible est de plus en plus déshumanisé, jusqu'à ce que la personne en vienne à accepter l'idéologie et à commettre des actes en son nom. Nous savons que c'est là le processus qui mène à la radicalisation. C'est pourquoi B'nai Brith a dénoncé la propagande haineuse avec autant de force. Nous ne voulons pas voir des personnes — en particulier les jeunes, qui sont les plus vulnérables — prêter l'oreille aux discours haineux, déshumaniser certains groupes, puis passer à l'acte.
C'est là, je le répète, la raison pour laquelle nous nous focalisons ici sur la promotion du terrorisme. Nous ne voulons pas voir cela dans notre pays. La menace est réelle et, malheureusement, elle va grandissante dans le monde actuel.
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Oui. Pour l'instant, il s'agit d'une préoccupation théorique. Si une poursuite devait être freinée en raison de ce libellé, alors que cette poursuite nous semblait légitime, il nous faudrait alors admettre qu'il s'agit d'un problème. Or, pour l'instant, nous en sommes à... Si le gouvernement jugeait que ce libellé l'empêche d'agir, il nous faudrait aussi répondre à votre question par l'affirmative.
Cependant, ce n'est pas là le message qui provient du gouvernement, lequel se montre plutôt préoccupé par les parties du projet de loi qui ont trait à la peine et non pas à la défense.
J'ajouterais qu'il s'agit là d'un problème qui s'est présenté dans la gestion des infractions de propagande haineuse par la police et la justice. Aujourd'hui, les forces policières possèdent très souvent des brigades de lutte contre les crimes motivés par la haine. Comme dans le cas des infractions d'agression sexuelle, les policiers sont maintenant mieux sensibilisés à ce chapitre.
Je crois fermement que nous devons faire en sorte que cela fonctionne. Si le texte actuel ne permet pas un bon fonctionnement, alors nous pourrons modifier le texte. Toutefois, le fait de tenter de modifier le texte avant même d'essayer de l'appliquer, voilà qui, selon moi, envoie un mauvais message.
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Merci, monsieur le président.
[Traduction]
Je remercie les trois témoins d’être venus nous rencontrer aujourd’hui. Je pense que vous étiez là lors de l’étude du cadre de sécurité nationale la dernière fois. Je crois me rappeler avoir participé à une séance avec vous deux lors de laquelle on se penchait sur cette question, par conséquent je vous sais gré d’être là de nouveau.
Quand nos discussions sur les attaques terroristes portent uniquement sur l’État islamique et n’englobent pas les attaques visant la communauté musulmane au Canada ni celles menées par les groupes d’extrême droite, ça m’inquiète. La question a été soulevée. Je pense avoir indiqué, lorsque je vous ai vus la dernière fois, que je suis frappée, chaque fois qu’il y a une attaque contre la communauté musulmane, que les premiers à le dénoncer font partie de la communauté juive. Je crois que c’est cette longue histoire de la haine envers la communauté juive qui lui fait reconnaître l’impact subi. Bien sûr, dans ma propre communauté, je sais qu’il y a le groupe interconfessionnel Halton Interfaith Council et une entraide extraordinaire, et que c’est la communauté juive qui est toujours la première à dénoncer une attaque contre la communauté musulmane.
Je veux simplement vous remercier de cela et m’assurer que notre échange porte sur la menace terroriste en général et pas seulement sur Daech.
Nous avons entendu le ministre, et je m’adresse ici à B’nai Brith qui met en opposition le fait de préconiser et le fait de conseiller, aussi des organismes chargés de l’application de la loi et d’autres témoins également, je crois, même si je n’en suis pas certaine. Ils étaient d’accord avec le ministre lorsqu’il parlait de la capacité de poursuivre en justice et qu’il affirmait que la défense d’une cause ne donnait pas les outils nécessaires alors que le conseil, en fait, les autoriserait à initier des poursuites.
Je me demandais si vous aviez entendu ce témoignage et si vous êtes d’accord avec leurs déclarations. Je pose la question à vous deux et j’aimerais une brève réponse.
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C’est une bonne question, pour dire vrai.
Au départ, je dois avouer que les changements ou l’absence de changements apportés à la partie de la loi qui traite de la communication d’informations me préoccupent. Pour être plus précis, sans aller dans les détails pour ne pas reprendre ce que d’autres ont dit, la définition de ce qu’est « une menace envers la sécurité du Canada » n’est pas celle qu’on trouve dans la loi sur le SCRS; elle est très vague. Par conséquent, pour répondre à votre question, je ne pense pas que l’approche soit la bonne.
En gros, je crois que l’avantage de la démarche actuelle, c’est qu’elle examine la communication d’informations sous un angle plus global. Il ne s’agit pas uniquement d’élargir les voies de communication de l’information au sein du gouvernement, mais de trouver également des moyens de l’encourager sur le plan culturel, de faire tomber les champs de compétence cloisonnés en veillant à une surveillance généralisée par tous les organismes concernés, faisant ainsi tomber tous les obstacles à une libre circulation de l’information. La démarche peut forcer les gens, si le travail est bien fait, à se réunir dans une même salle, ce qui est souvent difficile dans n’importe quelle grande organisation, en fait.
Je vais devoir approfondir ma réflexion pour voir s’il y a d’autres moyens d’y arriver. Pour être franc, je ne me suis pas préparé à cette question. Je serai heureux de vous revenir là-dessus, si vous êtes intéressés.