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Je déclare la séance ouverte.
Je remercie nos témoins d'avoir attendu.
Nous en sommes à notre première réunion dans le cadre de notre étude sur le syndrome de stress post-traumatique et les blessures de stress opérationnel. Nous nous pencherons sur cette question au cours des prochaines semaines, mais nous entendrons d'abord quelques témoins de référence.
Je tiens à ce que vous sachiez que vous êtes des témoins de référence. À partir de vos témoignages d'aujourd'hui et de vos réponses aux questions, nous élaborerons notre étude au cours des prochaines semaines, au terme de laquelle nous présenterons un rapport au Parlement dans lequel nous recommanderons des mesures au gouvernement. Voilà pour le contexte de nos travaux.
Nous accueillons, de l'Université du Manitoba, Jitender Sareen, professeur de psychiatrie, ainsi que le Dr Shlik, directeur clinique au Royal, à Ottawa. Je suggère que nous entendions d'abord Jitender Sareen.
Vous avez 10 minutes pour faire votre exposé. Nous écouterons ensuite une deuxième présentation de 10 minutes. Puis, le Comité vous posera des questions, qu'il pourra adresser à l'un ou l'autre d'entre vous.
Vous avez la parole. Nous vous indiquerons quand la fin des 10 minutes approchera, de sorte que, si vous manquez de temps, vous pourrez...
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Je vous remercie beaucoup de m'avoir invité. C'est un plaisir pour moi d'être ici. Je suis vraiment heureux d'avoir l'occasion de m'exprimer sur cette question, qui est importante pour nous.
J'aimerais d'abord me présenter au Comité. Je suis psychiatre à l'Université du Manitoba, où je travaille depuis 16 ans. Je travaille à la clinique des traumatismes de stress opérationnel de Winnipeg depuis environ sept ans et je travaille également, avec notre équipe, à des recherches en épidémiologie du stress post-traumatique ainsi qu'à des recherches sur la santé mentale des militaires et je travaille en prévention du suicide. À l'heure actuelle, je préside le Comité de recherche et je suis membre du conseil de l'Association des psychiatres du Canada.
Aujourd'hui, je vais résumer nos connaissances sur les blessures de stress opérationnel et suggérer des travaux qui pourraient être faits pour aider les agents de la sécurité publique au Canada.
Anciens Combattants Canada définit une blessure de stress opérationnel comme « tout problème psychologique persistant découlant de l'exercice de fonctions dans les Forces armées canadiennes ou la Gendarmerie royale du Canada. » Ce terme recouvre un large éventail de problèmes comprenant des troubles psychiatriques diagnostiqués, dont le syndrome de stress post-traumatique, mais d'autres troubles aussi.
Les blessures de stress post-traumatique sont associées à une morbidité, à une mortalité, à une utilisation des services de santé et à des coûts pour la société non négligeables. Elles touchent non seulement le membre, mais aussi sa famille et il est important que nous examinions soigneusement ces questions.
J'aimerais, à ce moment-ci, souligner que la plupart des personnes exposées à des événements traumatisants se montrent résilientes. Nous avons presque tous déjà eu à lutter contre un traumatisme et été confrontés à des événements traumatisants, mais la plupart des gens s'en remettent. Le trouble évoqué est habituellement le stress post-traumatique, mais des événements traumatisants peuvent entraîner d'autres difficultés, comme un trouble d'anxiété, la dépression, l'alcoolisme et des maladies physiques.
Il convient également de souligner qu'il y a une relation dose-effet entre le nombre et la gravité des événements traumatisants, par exemple, le fait de voir des cadavres ou d'être agressé physiquement. Plus le nombre d'événements est élevé, plus grands sont les problèmes de santé mentale. Toutefois, il est vraiment important de comprendre qu'une combinaison de facteurs de risque et de facteurs de protection biologiques, psychologiques et socio-culturels influent sur les problèmes de santé mentale.
On sait que les facteurs biologiques qui accroissent le risque de blessures de stress opérationnel comprennent le fait d'être une femme et d'avoir des antécédents familiaux de problèmes de santé mentale, ce qui accroît le risque génétique, ainsi que des problèmes de santé physiques, très souvent, un traumatisme cérébral.
Les facteurs psychologiques qu'on sait être associés aux problèmes de santé mentale comprennent le fait d'avoir une personnalité impulsive, agressive et très perfectionniste et d'avoir un style cognitif centré sur l'autocritique.
Les facteurs socio-culturels sont aussi très importants, y compris le fait d'avoir vécu des événements négatifs durant l'enfance, d'avoir eu un faible soutien social, et d'avoir vécu de la violence familiale, du racisme et de la pauvreté, et d'avoir été soumis à un stress financier.
D'après la littérature internationale, il y a six approches principales qui sont importantes dans la prévention et le traitement des problèmes de santé mentale liés au travail et du stress post-traumatique.
Premièrement, en guise de prévention, on peut sélectionner des personnes qui sont résilientes et qui ont peu d'antécédents de graves problèmes de santé mentale.
Deuxièmement, le fait qu'un milieu de travail fournisse une formation systématique, soit bien organisé et que les personnes qui y travaillent de même que la direction soient coopératives réduisent le risque de problèmes de santé mentale.
Troisièmement, l'armée a créé des programmes d'entraînement à la résilience à l'intention du personnel et des familles pour leur apprendre à gérer le stress avant et après une mission. À l'heure actuelle, nous ne connaissons pas de programmes d'entraînement à la résilience qui ont fait leurs preuves et qui sont offerts au personnel de la sécurité publique. Nous travaillons à l'élaboration d'une thérapie cognitivo-comportementale basée sur la pleine conscience pour aider les gens à apprendre des techniques pour faire face aux difficultés lorsqu'ils entrent en fonction dans un emploi stressant.
Quatrièmement, il y a des preuves solides montrant que la thérapie cognitivo-comportementale et l'exposition prolongée — un autre type de psychothérapie — sont utiles pour traiter les gens souffrant d'un trouble de stress aigu et d'un trouble de stress post-traumatique. Ces traitements sont administrés par des fournisseurs de services en santé mentale formés. En raison du nombre peu élevé de fournisseurs et du grand nombre de personnes à qui ce type d'intervention pourrait être bénéfique, les dernières recherches ont consisté à mettre à l'essai des stratégies permettant de dispenser une thérapie cognitivo-comportementale par Internet, par téléphone et sur de vastes plateformes d'apprentissage.
Il est aussi important de souligner que les médicaments occupent une place importante dans le traitement des personnes qui souffrent d'un trouble de stress post-traumatique et d'autres troubles de santé mentale. Des antidépresseurs, comme la paroxétine et la sertraline, ont été approuvés pour le traitement de l'anxiété et de la dépression.
Les médicaments qui traitent spécifiquement l'insomnie, souvent un problème majeur chez les personnes qui nous consultent, sont très importants. La prazosine est un médicament antihypertenseur qui s'est révélé assez efficace pour aider les personnes qui font des cauchemars, ont de la difficulté à dormir et présentent des symptômes de TSPT. La trazodone, un autre antidépresseur, et la zopiclone, un hypnotique, peuvent aussi être utilisés.
Les benzodiazépines sont généralement non recommandés pour le trouble de stress post-traumatique. Toutefois, il peuvent être utilisés, avec précaution, chez les personnes atteintes d'un trouble anxieux grave. Les antipsychotiques se sont aussi révélés efficaces chez les personnes atteintes d'un trouble anxieux grave et de dépression.
Je tiens à préciser qu'aucun guide de pratique clinique ne préconise le recours à la marijuana à des fins médicales pour traiter le TSPT. Bien que les patients posent souvent la question, les données semblent indiquer que la consommation de marijuana peut, dans les faits, aggraver les symptômes de TSPT. J'estime qu'il est important que nous étudiions soigneusement les effets de la marijuana et de la marijuana consommée à des fins médicales sur le TSPT, non seulement à court terme, mais aussi à long terme, surtout en ce qui a trait au fonctionnement.
Voici quelques recommandations précises de politique.
Bien que les agents de la sécurité publique soient plus sensibilisés aux blessures de stress opérationnel, nous ne disposons pas d'information canadienne de qualité sur la prévalence, la prévention et le traitement de ces troubles dans le milieu particulier qu'est le Canada. Une grande partie de nos connaissances proviennent des États-Unis et d'autres pays.
Cependant, nous pouvons apprendre des militaires et des anciens combattants canadiens qui ont systématiquement eu affaire à des cas de problèmes de santé mentale et de suicide au cours des 15 dernières années. Même on pourrait faire beaucoup de travail dans ce domaine, l'armée a pris des initiatives stratégiques importantes qui ont beaucoup contribué à améliorer la vie des militaires et des anciens combattants.
L'armée a fait des enquêtes épidémiologiques de pointe, représentatives à l'échelle nationale, pour obtenir des estimations justes des problèmes de santé mentale dans ses populations. Elle a aussi mis en place des outils de dépistage post-déploiement permettant de repérer et de traiter rapidement les personnes atteintes.
Anciens Combattants Canada finance un réseau national de cliniques de traitement des blessures de stress opérationnel dotées d'équipes interdisciplinaires pour aider les gens à se remettre de blessures de stress opérationnel. Le ministère a également collaboré avec l'Université Queen's à la création de l'Institut canadien de recherche sur la santé des militaires et des vétérans, qui encourage la recherche indépendante et impartiale menée en collaboration avec des partenaires universitaires. Plus de 35 instituts situés dans tout le Canada travaillent avec l'institut canadien.
En nous inspirant de l'approche adoptée par l'armée, j'avance que nous devons faire trois choses. Premièrement, nous devons investir dans une enquête nationale sur la santé mentale du personnel de la sécurité publique. Deuxièmement, nous devons créer un institut indépendant qui fasse appel à des universitaires, des décideurs et les principaux intéressés pour faire avancer les connaissances dans ce domaine. Troisièmement, nous devons créer des cliniques qui soient financées conjointement par les commissions d'indemnisation provinciales et fédérales et les commissions des accidents du travail pour aider les personnes à obtenir rapidement des traitements.
Plus précisément, une enquête nationale sur la santé mentale doit être menée, car les taux de problèmes de santé mentale dans ce groupe atteignent 10 % à 40 %. Certains affirment que, grâce au processus de sélection, les agents de la sécurité publique ont peut-être des taux plus faibles de problèmes de santé mentale tandis que d'autres affirment que, en raison des conditions stressantes dans lesquelles ils travaillent, ces taux sont en fait plus élevés que dans l'ensemble de la population. Pour tout dire, nous ne le savons pas.
Un institut national...
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Monsieur le président, estimés membres du Comité, docteur Sareen, je m'adresse à vous du Royal et je profite de l'occasion pour mentionner que nous nous sentons très privilégiés de contribuer aux travaux sur cet important sujet, ici, au Royal. Le Royal, comme vous le savez peut-être, est un centre universitaire qui se consacre aux sciences de la santé et qui est à la fine pointe de la recherche sur divers sujets, parmi lesquels la dépression et le suicide.
Le Royal a l'habitude de travailler auprès de services d'intervention d'urgence. Par exemple, nous dispensons une formation complète en santé mentale au personnel infirmier des services correctionnels. Je travaille à la clinique des traumatismes de stress opérationnel ici, au Royal, et pour quelques autres programmes cliniques au Royal. Je suis psychiatre et directeur clinique de la clinique des traumatismes de stress opérationnel. J'ai quelques observations concernant les cliniques TSO, que le Dr Sareen a aussi faites dans sa présentation qui, en passant, a donné une excellente vue d'ensemble.
Depuis 2008, le Royal gère la clinique TSO, qui fait donc partie du réseau financé par Anciens Combattants Canada. Nous offrons des soins et un soutien spécialisés aux membres, et surtout aux anciens combattants, des Forces armées canadiennes et aux membres et anciens membres de la Gendarmerie royale du Canada qui ont des problèmes de santé mentale, ainsi qu’à leur famille. Je vais parler de mon expérience à titre de clinicien qui fournit des services à cette population. Quant aux agents de la sécurité publique et aux premiers intervenants, même si, comme il a été mentionné, certains aspects de leurs problèmes de santé mentales, de stress professionnel opérationnel, auraient certainement besoin d'être davantage étudiés, plusieurs des éléments de notre expérience peuvent s’appliquer à leurs problèmes.
Nous possédons de l'expérience dans le domaine des services paramédicaux. Notre département de psychiatrie participe à une table ronde sur les problèmes auxquels sont confrontés les services paramédicaux, les premiers intervenants, qui, de leur côté, ont recueilli, dans le cadre d'initiatives locales, des données sur les conséquences et sur les services requis. Ce type de travail doit être fait d'une manière plus coordonnée et intégrée.
Comme je l'ai mentionné plus tôt, les traumatismes de stress opérationnel chez les agents de la sécurité publique et les premiers intervenants ressemblent peut-être, d'une certaine façon, à ceux que vivent le personnel de la police fédérale et des forces armées ainsi que les anciens combattants, mais il existe des spécificités de même que des cultures et des sous-cultures qui doivent être prises en considération. Par exemple, les agents correctionnels et les professionnels paramédicaux peuvent devoir affronter des problèmes quelque peu semblables au quotidien, mais il y a des différences bien précises, ce qui peut mener à une certaine fragmentation du système de soins et de l'approche. Sur place, nous avons vu certains changements pouvant mener à des approches variées et à un manque de coordination de sorte que les ressources sont mal utilisées et ne sont pas exploitées de manière à donner des résultats.
Un aspect qui ressort clairement, surtout à la lumière de notre travail auprès de la police fédérale, et qui mérite d'être souligné, est l'importance de promouvoir une culture et une perception constructives en ce qui a trait au stress professionnel et aux traumatismes de stress opérationnel. Pour donner quelques exemples, le Dr Sareen a mentionné des travaux effectués par le ministère de la Défense nationale. Nous avons constaté que l'approche de l'un des programmes, intitulé « En route vers la préparation mentale », ou RVPM, a aussi, à notre connaissance, été adoptée par la GRC. De la formation est offerte et ce programme, qui tient compte du continuum des problèmes en santé mentale dans le travail opérationnel et propose aussi certaines façons d'obtenir de l'aide et de s'aider soi-même, a été mis en place dans différentes unités.
Ce genre de programmes pourraient être aisément adoptés par les services d'intervention d'urgence. Comme il a été mentionné plus tôt, les modèles de soins et l'expertise des centres de soins et de recherche devraient être pris en compte. De même, une stratégie intégrée fondée sur des données, à laquelle contribueraient tous les intervenants nationaux et provinciaux, serait très utile.
Je devrais sans doute m'arrêter ici.
Je serai heureux de répondre à toutes questions ou observations. Je vous remercie de votre attention. C'est assurément un honneur de contribuer à un travail aussi important.
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Merci, monsieur le président.
Merci à vous deux, messieurs. Vos témoignages sont des plus éclairants et portent sur des causes que j'ai moi-même défendues avec ardeur avant de devenir député. J'ai aussi eu l'occasion de visiter le Royal à quelques reprises. Nous sommes reconnaissants de votre travail. Merci.
Docteur Sareen, étant donné le contenu de votre témoignage aujourd'hui, je crois que la plupart de mes questions vous seront adressées.
J'ai été frappé par vos observations sur la consommation de marijuana à des fins médicales. Alors que j'étais ministre des Anciens Combattants, j'ai essayé d'avoir une discussion claire sur le sujet. Comme vous le savez, le ministère des Anciens Combattants approuve l'usage de la marijuana lorsque celle-ci est prescrite à des fins médicales par un médecin.
Les opinions sont très partagées sur le sujet. Certains prônent l'utilisation de la marijuana pour soulager des symptômes comme la douleur chronique et toute une variété de maux. Selon d'autres intervenants, dont certaines entreprises commerciales, la marijuana serait un remède ou un traitement reconnu pour le TSPT.
J'ai clairement exprimé mon inquiétude à ce sujet, parce qu'à mes yeux, cette pratique commerciale naissante ne devrait pas exploiter des gens qui ont besoin d'aide. Je reçois encore des messages en ligne selon lesquels le bien-fondé de cette pratique a été prouvé en clinique. Lorsque je lis les articles, je vois bien que ce n'est pas le cas. Qu'en pensez-vous?
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Merci, monsieur le président.
Messieurs, je vous remercie d'être parmi nous aujourd'hui.
Dans le cadre de cette étude et même des questions, la situation des agents des services correctionnels est un peu passée sous silence. Un agent m'a dit un jour que les gens occupant ces fonctions avaient parfois l'impression d'être des policiers oubliés, en ce sens que l'on ignorait quelquefois qu'ils étaient eux aussi aux prises, en première ligne, avec des situations extrêmement difficiles.
Au cours des dernières années, notamment en 2014, nous avons appris que le nombre d'accidents dans ce milieu de travail était à la hausse. On appelle souvent cela des accidents, comme si ces événements se passaient à l'usine, mais en réalité, ceux-ci sont très souvent associés à de la violence et à des situations très troublantes.
J'aimerais que vous nous parliez des ressources qui existent, ou plutôt qui n'existent pas. Je pense en effet que c'est un problème de taille. Bien entendu, je ne veux pas manquer de respect envers la GRC, les Forces canadiennes, les corps policiers et les pompiers, mais je note qu'on parle beaucoup d'eux alors qu'on a tendance à oublier ces agents.
En vous fondant sur votre expertise, nous diriez-vous comment il serait possible de devenir davantage conscients des problèmes auxquels ces gens font face et, par conséquent, de leur fournir les ressources nécessaires?
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Je vous remercie, monsieur le président.
Je tiens à remercier nos invités ainsi que mes collègues d'en face.
Comme l'a dit mon collègue M. O'Toole, il s'agit d'un dossier qui me tient énormément à coeur. Je le connais très bien. J'ai d'ailleurs passé beaucoup de temps à travailler avec des personnes atteintes du syndrome de stress post-traumatique. Un grand nombre de mes collègues, au fil des ans, ont eu à faire face à ce problème.
Je poserai quelques questions, mais, si possible, je vais aussi promouvoir sans vergogne mon cheval de bataille, car ce dossier est d'une importance cruciale — je félicite d'ailleurs le gouvernement de s'être attelé à la tâche. Je suis foncièrement convaincu que cette discussion n'a que trop tardé. C'est la raison pour laquelle j'ai déposé le projet de loi qui demande l'élaboration d'une stratégie et d'un cadre nationaux concernant l'état de stress post-traumatique chez les premiers répondants et les anciens combattants.
Plus précisément, les préoccupations soulevées ici et les aspects complexes dont il faut tenir compte pour donner suite aux idées présentées par nos invités montrent bien la nécessité de mettre en place une stratégie nationale, une stratégie qui tient compte et qui s'inspire des normes et des critères uniformes qui se trouvent parmi l'ensemble des premiers répondants ou dans la classification. Il est ici question de terminologie, de pratiques exemplaires, de soins et d'éducation, d'études sur la vulnérabilité avant et après le fait et de lutte contre les préjugés bien réels associés au syndrome de stress post-traumatique, afin que les premiers répondants et les anciens combattants puissent faire valoir leur point de vue et se faire entendre. Il s'agit aussi de donner à leurs collègues et aux membres de leurs familles des outils leur permettant de faire face aux préoccupations, aux difficultés qui se présentent et aux signaux d'alarme afin de les reconnaître, de sorte que nous ne perdions personne d'autre.
J'ai une question pour le Dr Sareen.
Dans votre témoignage devant le Sous-comité des anciens combattants du Sénat, vous avez parlé d'un concept qui s'appelle la « règle des tiers ». Vous avez indiqué qu'un tiers des patients souffrant de traumatismes liés au stress opérationnel pouvait espérer un rétablissement complet, un autre tiers, un rétablissement modéré — le patient a encore des symptômes, mais il peut fonctionner adéquatement et un dernier tiers continuera d'avoir des difficultés pendant longtemps.
Je ne partage pas votre avis. J'ai du mal à croire que l'on puisse effacer de la mémoire des gens un incident traumatique qu'ils ont vécu. Je suis d'accord avec le rétablissement. Je crois que nous pouvons fournir des ressources et la capacité de mener une vie productive, mais je ne suis pas convaincu qu'il est possible de se rétablir complètement, à l'instar de tout autre problème de santé mentale.
Auriez-vous l'obligeance, docteur Sareen, de nous expliquer plus en détail comment vous en êtes venu à penser qu'un rétablissement complet est possible? Vos observations m'intéressent.
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Monsieur le président, membres du Comité, bonjour. Je vous remercie de m'avoir gentiment invité à comparaître devant vous aujourd'hui alors que vous entreprenez une étude très importante portant sur les effets des blessures de stress opérationnel et du syndrome de stress post-traumatique sur les agents de la sécurité publique et les premiers intervenants.
Comme le comité compte beaucoup de nouveaux membres, j'aimerais tout d'abord présenter brièvement l'Association canadienne des policiers. Je suis très heureux d'avoir eu l'occasion de rencontrer bon nombre d'entre vous lors de notre conférence législative annuelle qui s'est déroulée à Ottawa. Je tiens à vous remercier d'avoir pris le temps de rencontrer nos délégués la semaine dernière.
L'Association canadienne des policiers représente plus de 60 000 employés civils et policiers assermentés de première ligne à la grandeur du Canada. Ses membres comprennent des policiers affectés à 160 services de police de villages et de petites villes, ainsi qu'à des services de police municipaux et provinciaux de grande envergure, à la GRC, à la police des chemins de fer et à la police des Premières Nations.
Je tiens aussi à signaler que mon poste d'attache est celui de policier au service de police de Vancouver. Je suis actuellement en détachement au Syndicat des policiers de Vancouver, dont je suis président. Je suis aussi président de l'Association des policiers de la Colombie-Britannique, qui regroupe tous les syndicats de policiers municipaux de la Colombie-Britannique, ainsi que le président de l'Association canadienne des policiers.
Je suis détaché à ces postes pendant que j'exerce mon mandat en tant que président élu. À la fin de ce mandat, je reprendrai ma carrière dans la police de Vancouver.
Par ailleurs, l'Association canadienne des policiers est très encouragée de constater que cette question importante figure parmi les premiers sujets sur lesquels vous allez vous pencher au cours de la nouvelle législature. Comme je l'ai mentionné, notre organisation a tenu récemment sa conférence législative annuelle. À l'occasion de cette conférence, près de 200 délégués de corps policiers des quatre coins du Canada ont convergé vers Ottawa afin de discuter avec des députés de la nécessité d'exhorter le nouveau gouvernement à remplir sa promesse électorale d'établir une stratégie nationale pour les premiers intervenants qui souffrent du syndrome de stress post-traumatique. Nous sommes très encouragés par les réponses que nous avons reçues de députés de tous les partis. Cela peut parfois sembler un cliché éculé, mais la protection des responsables qui protègent la population est vraiment une question non partisane.
Toutefois, les difficultés inhérentes à l'étude de cette question tiennent notamment du fait qu'il n'existe pas une seule cause aux blessures de stress opérationnel et au syndrome de stress post-traumatique chez les premiers intervenants. Dans certains cas, il s'agit d'un événement traumatisant, qui est souvent suivi d'une analyse intense de la part de superviseurs, de médias et de la population en général, qui bénéficient tous d'un temps de réflexion satisfaisant. Dans d'autres cas, il s'agit d'un traumatisme découlant d'années d'exposition à certaines des pires circonstances imaginables. Il est presque impossible de prévoir ce phénomène et extrêmement difficile de le prévenir. De plus, nous ne devons pas oublier le rôle que jouent les politiques et les pratiques organisationnelles dans ce dossier.
Nul doute qu'il faut agir de toute urgence. Depuis avril 2014, 77 premiers intervenants se sont suicidés. Ces suicides ne découlent évidemment pas tous directement du syndrome de stress post-traumatique, mais, en plus du risque élevé de suicide, presque tous les agents que je connais côtoient un ami, un collègue ou un partenaire qui souffre de ce qu'on appelle le syndrome de stress post-traumatique ou d'une blessure de stress opérationnel.
Par exemple, le Syndicat des policiers de Vancouver a récemment mené un sondage auprès du service de police de ma ville. Il a communiqué avec ses membres au moyen de leur adresse électronique privée afin d'avoir une idée plus précise du taux de prévalence du syndrome de stress post-traumatique. En compilant les réponses, il est apparu évident que plus de 30 % de nos membres répondent aux critères de diagnostic clinique du syndrome de stress post-traumatique.
Des sondages réalisés auprès d'autres corps policiers d'envergure au Canada par l'Association canadienne des policiers révèlent des résultats semblables. Ces résultats nous donnent une idée de l'ampleur et de la gravité du problème.
La pire conséquence de ce phénomène est évidemment le suicide, mais elle est loin d'être la seule. Lors de notre conférence tenue récemment, nous avons entendu des témoignages d'agents de police au sujet de leur propre expérience auprès des commissions provinciales des accidents du travail. Ils ont dû remplir des demandes de prestations parce qu'ils souffrent d'une maladie dont les symptômes ne sont pas toujours très visibles. C'est pourquoi nos membres souhaitent l'adoption d'une mesure législative visant à renverser le fardeau de la preuve, dans l'intérêt des personnes ayant eu un diagnostic de syndrome de stress post-traumatique.
Je suis heureux de dire qu'un certain nombre de provinces ont déjà pris des mesures très positives à cet égard, dont l'Ontario, qui est la dernière en lice à avoir agi en ce sens.
Évidemment, le gouvernement n'a pas réponse à tous les problèmes, et je reconnais sans ambages que les chefs de file de la police ont du travail à faire, tant en première ligne qu'au niveau de la direction. « Mettre fin aux préjugés » est une expression courante, qui reconnaît que nous devons tous redoubler d'efforts afin de comprendre les difficultés auxquelles sont confrontées les personnes qui souffrent. Personne ne sera étonné d'apprendre que, dans le milieu policier, il règne depuis longtemps une culture qui encourage les membres à serrer les dents et à affronter leurs problèmes, tout en continuant de faire partie de l'équipe policière, qu'il s'agisse d'une unité de patrouille ou d'une unité spécialisée au sein du corps policier.
Tous les intervenants — des partenaires aux superviseurs —, doivent travailler plus fort dans le milieu policier afin de déceler les signes avant-coureurs de la maladie et d'offrir toute l'aide nécessaire à leurs collègues qui en ont le plus besoin.
Je tiens aussi à souligner que les associations policières canadiennes ont fait des progrès remarquables au cours des dernières années dans la lutte contre ce problème. Les programmes d'aide aux employés, l'entraide par les pairs et les normes en matière de santé et de sécurité psychologiques sont des mesures innovatrices qui ont toutes été mises de l'avant par des représentants de première ligne.
Malgré tous ces efforts, il manque encore énormément de recherches sur le phénomène, en particulier sur les conséquences pour les premiers intervenants. Je crois qu'il s'agit d'un dossier important dans lequel le gouvernement fédéral peut jouer un rôle de premier plan. Un certain nombre d'organisations ont pris des mesures en vue de mieux comprendre le syndrome de stress post-traumatique, mais, avec l'aide du gouvernement fédéral, il est nécessaire de mieux cibler les efforts en la matière. Des chercheurs et des groupes qui souhaitent s'impliquer davantage dans le dossier communiquent avec moi régulièrement parce que je suis président de l'Association canadienne des policiers. Cependant, on craint fortement que, en l'absence d'une coordination appropriée, les nouvelles ressources ne soient pas utilisées de la manière la plus efficace ou la plus efficiente qui soit.
Dans ce contexte, il importe de souligner un élément très important. Les plans d'action doivent mobiliser des professionnels dans un certain nombre de disciplines, allant des chercheurs universitaires aux psychiatres, mais il ne faut pas oublier que le processus doit être élaboré par les premiers intervenants et leur être destiné. Pour qu'un nouveau projet soit suffisamment crédible aux yeux des personnes qui en ont le plus besoin, je suis persuadé qu'il doit être piloté par des responsables qui comprennent très bien la culture et le milieu propres aux premiers intervenants. J'espère donc que votre Comité pourra nous aider à souligner l'importance de ce point. Je pourrais continuer de parler, mais je sais que mon temps est limité. J'ai toujours trouvé que la possibilité de répondre aux questions est l'aspect le plus utile de mes comparutions devant les comités.
En terminant, je tiens à vous remercier de m'avoir invité ici aujourd'hui et d'avoir entrepris d'étudier cette question. Au nom de mes collègues de première ligne, je tiens à vous dire que vos efforts sont appréciés. J'ai hâte que des mesures concrètes soient prises dans ce dossier.
Je vous remercie.
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Merci beaucoup. Je suis ravie d'être ici aujourd'hui pour parler des blessures de stress opérationnel et du syndrome de stress post-traumatique.
Je m'appelle Louise Bradley et je suis PDG de la Commission de la santé mentale du Canada. Je suis accompagnée aujourd'hui de Phil Upshall, de la Société pour les troubles de l'humeur du Canada. Nos organisations sont prêtes à agir rapidement dans ce dossier critique en tirant profit de leurs connaissances internes et des partenariats solides qu'elles entretiennent avec des intervenants, tant au Canada qu'à l'étranger.
Les premiers intervenants et les agents de la sécurité publique canadiens doivent assumer d'énormes responsabilités. Ces héros méconnus agissent rapidement en cas de crise, mettant courageusement leur sécurité en jeu afin de venir en aide aux autres. Au cours d'une période relativement courte, les conséquences néfastes de ce travail sont devenues le point central d'un dialogue national passionné. Les risques en matière de sécurité auxquels doivent faire les premiers intervenants vont bien au-delà de leur bien-être physique. C'est pourquoi il est réconfortant de constater que le gouvernement fédéral fait preuve de leadership et qu'il joue un rôle actif dans la lutte contre les problèmes que sont les blessures de stress opérationnel et le syndrome de stress post-traumatique.
Il est important de souligner que les préoccupations des agents de la sécurité publique en matière de santé mentale ne se limitent pas au syndrome de stress post-traumatique. Elles visent tout un éventail de problèmes, allant de la dépression et des troubles somatiques et psychosomatiques à la fatigue chronique, à l'alcoolisme et à la toxicomanie. Nous savons que, chez les agents de la sécurité publique, le taux de suicide est environ 30 % plus élevé que celui des autres groupes témoins et qu'ils ont deux fois plus de problèmes conjugaux.
Heureusement, les efforts de collaboration dirigés par des organisations comme la Commission donnent une voix aux personnes qui traversent cette crise méconnue. Nos efforts sont axés sur l'habilitation des premiers intervenants en échangeant des connaissances et des pratiques exemplaires et en dirigeant des travaux de recherche de pointe.
Parmi nos principaux travaux, mentionnons l'adaptation du programme En route vers la préparation mentale, RVPM, qui a été conçu à l'origine par le ministère de la Défense nationale afin de réduire les préjugés et de promouvoir la santé mentale dans les Forces canadiennes. La Commission de la santé mentale a modifié cet excellent programme afin qu'il tienne compte des besoins des policiers, des pompiers, des ambulanciers et des autres premiers intervenants. Les participants se familiarisent avec un modèle de continuum de la santé mentale et reçoivent un outil simple d'auto-évaluation muni de codes de couleurs et d'indicateurs précis leur permettant de reconnaître une santé mentale bonne, déclinante ou mauvaise. Le programme RVPM met aussi l'accent sur l'enseignement d'une série de techniques cognitivo-comportementales qui aident à gérer le stress et à améliorer la résilience.
À l'heure actuelle, plus de 500 organisations de policiers, de pompiers et d'ambulanciers à la grandeur du pays travaillent en partenariat avec la Commission de la santé mentale afin de dispenser cette formation. Au sein du gouvernement fédéral, nos partenaires comprennent la GRC, qui a accepté d'offrir la formation à ses 30 000 employés. La nécessité de mettre en oeuvre le programme RVPM fait largement consensus. Répondre à la demande fait partie des défis de taille que nous devons relever.
Il s'agit certainement d'un dossier où l'attribution d'un plus grand nombre de ressources aurait une incidence importante. Jusqu'ici, la Commission de la santé mentale a donné deux cours de formation des formateurs au Service correctionnel du Canada — un en anglais et un en français. En ce moment même, des employés du Service correctionnel du Canada sont en train de suivre le programme RVPM. Nous oeuvrons aussi à l'échelle provinciale, auprès du secteur correctionnel et d'autres groupes de premiers intervenants.
J'aimerais maintenant glisser quelques mots sur nos efforts visant à appuyer la formation de 30 000 pompiers réguliers et volontaires en Ontario, qui a commencé en février dernier. Nous sommes particulièrement fiers de constater que le programme RVPM a reçu l'appui de l'Association canadienne des chefs de pompiers.
Notre travail auprès des premiers intervenants englobe aussi la prestation de premiers soins en matière de santé mentale. Offert dans plus de 20 pays, le cours sur les premiers soins en matière de santé mentale permet aux participants d'obtenir des résultats clés, notamment une plus grande sensibilisation aux données scientifiques et aux symptômes liés aux problèmes de santé mentale et une diminution des préjugés. Cette formation est importante, car elle permet également de promouvoir une bonne santé mentale et de prévenir la maladie mentale chez les premiers intervenants eux-mêmes. En 2013, outre le ministère de la Défense nationale, plus de 40 services d'incendie, 30 organisations d'ambulanciers et 80 organisations de policiers ont offert le cours de premiers soins en matière de santé mentale.
Nous nous employons également à adapter ce cours afin qu'il puisse être donné aux anciens combattants et aux membres de leur famille.
En tant que présidente-directrice générale de la Commission de la santé mentale du Canada, je suis très chanceuse d'être à la barre de cette organisation alors qu'un aussi grand nombre d'initiatives positives sont en voie de réalisation. De surcroît, je suis très optimiste quant aux résultats positifs qui pourront en découler au fur et à mesure que la santé mentale fera partie intégrante de la formation en matière de sécurité au travail, secteur auquel la Commission consacre beaucoup de temps, d'efforts et de recherches.
Nous sommes en mesure plus que jamais de fournir aux premiers intervenants les outils et la formation dont ils ont besoin pour sauver des vies. À mon avis, il s'agit d'une obligation pour la société. En fin de compte, si on néglige la santé mentale des premiers intervenants, on compromet le bien-être de nos collectivités, ce qu'il faut absolument éviter.
Je cède maintenant la parole à Phil Upshall, qui vous parlera d'une proposition visant à faire en sorte que les premiers intervenants aillent chercher de l'aide et à ce que l'on réponde à leurs besoins au moyen de soins éclairés et soutenus.
Je vous remercie.
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Je vous remercie, Louise.
Monsieur le président, chers membres du Comité, merci de m'accueillir parmi vous aujourd'hui.
Je m'appelle Phil Upshall, et je suis directeur général national de la Société pour les troubles de l'humeur du Canada.
Avant de présenter mon bref exposé, je tiens à souligner que Syd Gravel m'accompagne aujourd'hui. Syd est coprésident du secteur Systèmes de soutien aux traumatismes et équipes de soutien par les pairs, au sein de la Société pour les troubles de l'humeur du Canada. Ancien policier d'Ottawa, Syd doit composer avec un trouble du stress post-traumatique, ou TSPT, et les répercussions que cela entraîne. Il connaît bien les enjeux provinciaux et nationaux dans ce domaine, particulièrement ceux qui, en Ontario, concernent la Commission de la sécurité professionnelle et de l'assurance contre les accidents du travail. Syd copréside le secteur Systèmes de soutien aux traumatismes et équipes de soutien par les pairs. Au Canada — et probablement en Amérique du Nord — c'est la plus grande équipe de soutien par les pairs axée sur les premiers intervenants et les gens atteints d'un TSPT grave. Si vous souhaitez lui parler plus tard, n'hésitez pas. C'est un homme formidable.
La Société pour les troubles de l'humeur du Canada est un organisme national dirigé par les consommateurs, les patients et les aidants naturels. Tous les membres de l'équipe, y compris moi, ont connu des troubles de santé mentale à un moment donné. Le directeur général national adjoint, Dave Gallson, a un TSPT depuis qu'il a été amputé des deux jambes à la suite d'un grave accident. Il lui a fallu un an pour se remettre physiquement de la perte de ses jambes et de nombreuses années pour composer avec le TSPT.
Notre principal spécialiste des recherches et gestionnaire de projet, Richard Chenier, est un ancien agent de la GRC dont le collègue a été tué par balle alors qu'il rédigeait un rapport. Il a combattu un TSPT pendant 29 ans avant d'aller chercher l'aide dont il avait besoin.
Voici maintenant un exposé très rapide.
Comme nous l'avons dit au comité des finances il y a quelques semaines, 85 % des premiers intervenants et des anciens combattants atteints de TSPT ou d'autres problèmes de santé mentale communiquent en premier lieu avec leur médecin de famille. Peu importe les formes de soutien disponibles un peu partout, la plupart des gens atteints d'un TSPT qui souhaitent obtenir de l'aide s'adressent à leur médecin de famille. Dans bien des cas, malheureusement, leur médecin ne leur offre pas les soins nécessaires.
Je ne m'attarderai pas sur l'importance du TSPT ni sur la définition de ce trouble, puisque vous avez déjà entendu des experts à ce sujet. Je dirai simplement qu'il est possible, selon nous, de juguler les répercussions du TSPT si les gens touchés peuvent recevoir un diagnostic précoce et recevoir du soutien dans leur collectivité.
C'est parce que des gens téléphonaient à la Société pour les troubles de l'humeur du Canada que nous avons découvert l'existence de ce problème. Ils nous disaient: « Où puis-je obtenir de l'aide? Il n'existe pas de soutien. » Nous leur disions de s'adresser aux Forces armées, au ministère des Anciens Combattants ou à leur service de police. Mais ils revenaient toujours vers nous en nous disant qu'il n'existait pas de soutien.
Dans un premier temps, nous nous sommes demandé pourquoi. Nous avons organisé une rencontre sur le thème « Loin des yeux, non loin du coeur ». Cette rencontre a montré qu'il fallait s'attaquer sérieusement à ce problème. Étant donné nos ressources financières limitées, nous avons choisi de nous concentrer sur un seul aspect, soit les médecins de famille et les fournisseurs de soins de santé. Ces professionnels servent de porte d'entrée; ce sont les premiers à voir les gens atteints d'un trouble de santé mentale. Leur formation médicale ne les a toutefois pas préparés à traiter les troubles de santé mentale en général, et encore moins le TSPT.
Nous avons établi une excellente collaboration avec le Collège des médecins de famille du Canada et le réseau des soins partagés, y compris tous les fournisseurs de soins primaires. Nous leur avons offert la possibilité d'en apprendre davantage sur le TSPT, et ils ont sauté sur l'occasion.
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Bien sûr. Un de mes collègues s'est suicidé le 31 décembre 2014. Le projet sur lequel il travaillait ciblait de grands criminels. Il était souvent loin de chez lui et faisait énormément d'heures supplémentaires pendant de longues périodes. Il ne pouvait pas passer les vacances de Noël avec son épouse et ses deux jeunes enfants, qui auraient aimé l'avoir à leurs côtés. Beaucoup d'autres facteurs étaient aussi en cause. Mais bref, il semble que ce policier — qui souffrait d'une blessure à la tête mal diagnostiquée — se sentait tellement dépassé par les événements que, le soir du 31 décembre 2014, il s'est suicidé avec son arme de service dans sa chambre d'hôtel.
Je soutiens encore son épouse, qui a perdu son époux et le père de ses enfants. Elle n'a reçu aucune prestation. Il s'est écoulé plus d'un an depuis, et cette famille, qui a perdu son principal soutien de famille, attend toujours une réponse de la Commission des accidents de travail. Je ne voudrais pas paraître critiquer la Commission, car je sais qu'elle mène une enquête et ainsi de suite, mais c'est un exemple, l'exemple d'un décès qui a privé deux enfants de leur père et une femme de son époux, en plus de faire planer beaucoup de questions et d'incertitude sur leur avenir.
Ce n'est qu'un cas. Au début de l'année, quatre policiers se sont suicidés. Je pourrais vous donner beaucoup d'autres exemples pour illustrer comment ces troubles bouleversent la vie personnelle des gens. Le TSPT et les traumatismes liés au stress opérationnel ont aussi des répercussions sur les organisations. Il suffit de penser aux absences du travail, à la souffrance, aux problèmes de rendement qui mènent à des processus disciplinaires, et à tout ce que cela fait vivre aux personnes touchées, à leur famille et à leur organisation. Imaginez toutes ces inefficacités. C'est un scandale.
Voilà qui montre toute l'importance de cet enjeu. Il faut prendre les devants, mieux comprendre ces problèmes pour pouvoir les diagnostiquer tôt, les prévenir, les traiter, et fournir aux personnes touchées le soutien dont elles ont besoin pour demeurer productives non seulement dans leur vie personnelle, mais aussi au travail.
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Merci, monsieur le président.
Je partagerai mon temps de parole avec mon collègue, M. Doherty.
Chers témoins, je vous souhaite à tous la bienvenue et je vous remercie de vos témoignages candides, souvent personnels, et de votre dévouement. J'ai eu le plaisir de collaborer avec plusieurs d'entre vous au cours des dernières années. La Commission de la santé mentale du Canada représente l'une des réussites du gouvernement conservateur, selon moi, et je suis ravi que le nouveau gouvernement poursuive ce travail. J'espère revoir certains d'entre vous sur la Colline le 5 mai, à l'occasion du Déjeuner de la santé mentale Sam Sharpe, un événement dont Roméo Dallaire et moi sommes les hôtes chaque année.
Monsieur Upshall, je vous remercie pour votre travail et pour le programme de formation destiné aux médecins de famille, dans lequel votre organisme joue un rôle essentiel. Comme vous l'avez souligné, les anciens combattants et les premiers intervenants consultent souvent ces médecins en premier lieu. Il faut donc voir à ce qu'ils aient les connaissances nécessaires.
Ma question s'adresse à M. Stamatakis. J'ai eu l'honneur de parler à votre groupe. Je leur ai parlé du TSPT et des traumatismes liés au stress opérationnel. J'ai souligné que le gouvernement fédéral devait faire sa part, et j'ai mentionné la collaboration et le suivi entourant le programme En route vers la préparation mentale. Le Dr Sareen, qui a témoigné juste avant vous, a mentionné le lien entre niveau d'exposition et réactions. Il a rappelé, comme vous le faites, que les traumatismes liés au stress opérationnel peuvent être causés par un événement unique ou par une exposition prolongée. À l'heure actuelle, faites-vous un suivi de l'exposition prolongée à des facteurs de risque dans les forces policières, afin de garder l'oeil sur la santé de vos membres?
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Merci, monsieur le président.
Je remercie les intervenants d'être parmi nous aujourd'hui et de contribuer à notre travail.
Avant d'être député et maire, j'ai été directeur d'école et enseignant. À plusieurs occasions, j'ai vu des gens qui souffraient de dépression, d'épuisement professionnel ou d'anxiété. J'ai constaté chez eux un sentiment de honte et de faiblesse, la crainte d'être jugés par leurs pairs ainsi qu'un sentiment d'incompréhension face à ce qui leur arrivait.
Nous parlons de formation, de sensibilisation et d'outils de recherche, mais à l'intérieur des organisations, dans le milieu institutionnel, il y a une culture à changer. Des outils ont déjà été mis en place et il a été difficile de le faire. D'après ce que je comprends, l'Association canadienne des policiers n'en est qu'au tout début à cet égard. Vous n'avez pas commencé à parler de cette situation à l'échelle internationale, pour voir ce qui se fait ailleurs dans le monde.
Nous considérons les policiers, les pompiers et les militaires comme des gens forts et immunisés contre la faiblesse. J'imagine qu'il doit y avoir du travail à faire, même en ce qui a trait à la culture.
Avez-vous poussé plus loin vos recherches à ce sujet, même chez les gestionnaires de ces secteurs et dans les postes de police, pour voir ce qui pourrait être fait?
Ma question s'adresse aux trois témoins.
Vous soulevez d'excellents points et vous le faites avec beaucoup d'acuité. Je reviens à la recherche que nous avons faite sur la stigmatisation et le milieu de travail.
Nous constatons que ce qu'il y a de plus difficile, c'est de surmonter la stigmatisation. C'est vraiment la plus grande difficulté. Nous avons découvert, à la Commission, grâce à nos travaux de recherche, que ce sont les stratégies éducatives axées sur les rapports directs qui ont un effet véritable. Alors, en tant qu'infirmière, je peux vous dire quels sont les signes et les symptômes du syndrome de stress post-traumatique ou de la dépression, mais si je veux pouvoir vous en parler concrètement, mon expérience personnelle me sera beaucoup plus utile.
Lors de deux congrès de policiers que nous avons organisés conjointement, nous avons pu constater que, lorsque des policiers et d'autres personnes exerçant des fonctions de premier répondant décrivent ce qu'ils ont vécu personnellement, d'autres qui subissent la même épreuve n'hésitent plus à en parler. C'est l'une des constatations les plus importantes.
Tant que les environnements de travail et les contextes culturels dissuaderont les gens de parler de la dépression aussi librement que s'ils parlaient de la grippe, il ne sera pas possible de lutter vraiment contre le problème.
Toutes les pièces du casse-tête dont nous parlons aujourd'hui s'imbriquent les unes dans les autres pour former un tout. Il est inutile de considérer les pièces isolément les unes des autres. Les progrès se font sentir, mais il reste encore beaucoup de travail à faire sur les structures.