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Merci beaucoup, madame la présidente.
Je vais m'exprimer successivement dans les deux langues.
Je souhaite vous entretenir aujourd'hui d'un problème qui est lié à l'exception au titre de la sécurité nationale, particulièrement le fait que le gouvernement semble interpréter cette exception comme excluant la compétence des tribunaux.
Je n'ai pas d'expertise en sécurité nationale, comme M. Cox, ni en informatique. Je suis juriste, et c'est à ce titre que je m'adresse à vous.
Je peux peut-être commencer par présenter un exemple personnel. J'étais jeune avocat dans les années 1990 et j'ai eu à travailler sur plusieurs dossiers d'appel d'offres. Notre cabinet représentait des soumissionnaires qui avaient été exclus d'un processus ou qui s'étaient vu refuser l'attribution d'un contrat.
À cette époque, les décisions des tribunaux rendaient très difficile la contestation de décisions, par exemple celles concernant l'attribution de contrats par les municipalités. Je me souviens d'un cas où la Ville de Montréal avait attribué un contrat à notre concurrent, malgré l'existence d'irrégularités dans sa soumission, lesquelles n'avaient soulevé aucun problème. Dans un autre cas, mon client s'était vu reprocher des irrégularités semblables et sa soumission avait été jugée invalide. Je ne comprenais pas pourquoi la Ville faisait une chose dans un cas et autre chose dans un autre.
Quelques années plus tard, la commission Charbonneau — dont vous vous souviendrez peut-être — nous a permis d'en apprendre beaucoup au sujet de l'intégrité des processus d'appel d'offres. J'en ai retenu une leçon, soit que le contrôle des tribunaux est essentiel pour veiller à ce que les processus d'appel d'offres fonctionnent bien, à ce que les processus soient suivis et à ce que les gens prennent des décisions en fonction des critères établis et non en fonction de considérations arbitraires ou de favoritisme. Comme le dit le proverbe, « quand le chat n'est pas là, les souris dansent ». Le chat, évidemment, ce sont les tribunaux.
[Traduction]
J’aimerais souligner un point important. J’ai lu la transcription de la dernière séance du Comité qui a eu lieu en février, si je ne m’abuse. Il a été mentionné que l’exception au titre de la sécurité nationale avait été invoquée dans plusieurs cas, mais qu’il y avait tout de même eu un processus concurrentiel. Toutefois, selon les connaissances que j’ai acquises, sans un contrôle externe, on ne peut jamais avoir la certitude qu’il y a effectivement eu un processus concurrentiel. Dans les cas que j’ai donnés en exemple, il devait y avoir un processus concurrentiel. Il y a eu un appel d’offres et des critères avaient été établis. Cependant, la Ville de Montréal a fait essentiellement ce qu’elle voulait.
J’aimerais aller un peu plus loin. Au-delà de la protection de la capacité concurrentielle, il y a la primauté du droit. Rien dans la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur ou dans l’Accord sur le commerce international n’autorise que la compétence du tribunal soit écartée, même lorsqu’une exception au titre de la sécurité nationale est invoquée.
Le gouvernement faisait essentiellement valoir son droit à s’exempter de la loi lorsqu’il le juge à propos, et ce, sans fondement législatif. C’est ce que l’on appelle un pouvoir de dispenser, un pouvoir aboli par la Déclaration des droits — pas celle de Diefenbaker, mais bien celle qui a mis fin à la Glorieuse révolution de l’Angleterre, en 1689. Le principe selon lequel un gouvernement ne peut pas s’exempter de la loi existe donc depuis longtemps, même lorsque la sécurité nationale est en jeu.
Je ne veux pas minimiser de quelconque façon l’importance de la sécurité nationale, mais le fait que la sécurité nationale soit en jeu ne signifie pas que la compétence des cours et des tribunaux peut être écartée. Il faut concevoir des processus qui permettent de réconcilier les besoins relatifs à la sécurité nationale et ceux relatifs à l’examen judiciaire, soit les exigences de la primauté du droit.
J’aimerais vous donner quelques exemples. Le dernier Parlement a étudié le projet de loi qui a fait l’objet d’un important débat. Je vais vous donner un exemple qui concerne ce projet de loi. Cette mesure législative comprenait des dispositions relatives à une liste d’interdiction de vol. Elle offrait un fondement législatif pour la création de cette liste, mais ne mettait en place aucun processus permettant aux gens de contester devant un tribunal de droit l’ajout potentiel de leur nom à cette liste d’interdiction de vol. Même lorsque la sécurité nationale est en danger, le Parlement a trouvé une façon de traiter la situation qui respecte le droit des individus concernés à contester devant un tribunal l’ajout de leur nom à la liste et de protéger la sécurité nationale, notamment en ce qui a trait à la confidentialité.
C’est la même chose en ce qui concerne les fameux certificats de sécurité. Lorsque le gouvernement souhaite expulser quelqu’un qu’il considère comme une menace à la sécurité nationale, il existe un processus permettant à l’individu concerné de contester la décision devant un tribunal et un processus permettant de garder confidentielle toute l’information relative à ce dossier. Les deux processus peuvent coexister.
Cela ne se fait jamais de façon générale, soit de façon à empêcher un tribunal d’examiner un dossier en particulier et de juger si la préoccupation de sécurité nationale est justifiée. En cas de préoccupation fondée, il peut intervenir. Sinon, le dossier sera traité en séance publique.
[Français]
Je pense que cela nous donne une idée de la façon dont les tribunaux traitent ces questions. Les tribunaux sont sensibles aux questions de sécurité nationale, et ils ont tous les outils nécessaires pour assurer la confidentialité de l'information qui pourrait poser un risque à cet égard. À mon avis, rien dans l'Accord sur le commerce intérieur qui a été évoqué plus tôt ne permet au gouvernement de dire que les tribunaux perdent leur compétence lorsque celui-ci invoque une exception au titre de la sécurité nationale.
Je vous remercie.
Mesdames et messieurs les membres du Comité, bonjour. Mon nom est Chris McLeod. Je suis chef des litiges commerciaux chez Mann Lawyers, à Ottawa. Depuis le début de ma carrière, je pratique le droit dans le domaine des litiges commerciaux et des marchés publics. L’an dernier, j’ai été l’avocat principal dans l’affaire MD Charlton Co. Ltd. Il s’agissait de la première fois que l’invocation d’une exception au titre de la sécurité nationale a été jugée problématique par le Tribunal canadien du commerce extérieur. J’ai été honoré de recevoir votre invitation à venir témoigner. Je crois pouvoir vous fournir un peu de contexte.
À la lumière de mon examen de la transcription de la dernière séance du Comité, j’ai décidé de vous donner d’abord un aperçu du croisement entre marchés publics et exceptions au titre de la sécurité nationale et de la façon d’aborder certains des enjeux.
Comme vous le savez, le Canada a conclu plusieurs accords commerciaux: l’ALENA, l’Accord sur le commerce intérieur et l’Accord de l’OMC sur les marchés publics, pour ne nommer que ceux-là. Tous ces accords renferment des dispositions selon lesquelles le gouvernement du Canada s’engage à promouvoir la transparence, la concurrence, l’équité et l’intégrité dans la conclusion de marchés pour l’achat de biens et services.
Les accords commerciaux expliquent précisément les exigences à cet égard. Les exigences et le libellé diffèrent d’un accord à l’autre, mais les principes généraux sont les mêmes. Les processus doivent être ouverts de façon à ce que le Canada ne puisse pas introduire dans ses appels d’offres des descriptifs biaisés en faveur d’un soumissionnaire ou contre un soumissionnaire en particulier. L’échéance de l’appel d’offres doit permettre aux soumissionnaires intéressés d’y fournir une réponse légitime. Les soumissionnaires doivent être informés des critères d’évaluation à respecter et les soumissions doivent être évaluées en fonction de ces critères.
Ces critères, et bien d’autres, sont précisés dans les accords commerciaux et constituent les composantes essentielles d’un système d’approvisionnement juste, transparent et ouvert.
Ce ne sont pas toutes les acquisitions qui seront assujetties à ces accords commerciaux et exigences. Certains biens et services n’y sont pas assujettis. Pour y être assujetties, les acquisitions doivent atteindre certains seuils établis dans les accords. Habituellement, il y a un seuil monétaire réparti selon le type de bien ou de service et ce seuil diffère d’un accord à l’autre. Il n’est pas inhabituel qu’une acquisition soit assujettie à plus d’un accord commercial et à plus d’une obligation connexe.
Le Canada, par l’entremise de ces accords commerciaux, s’est également engagé à mettre en place un organe de règlement des différends spécialisé ayant l’expérience nécessaire pour traiter les cas de violation prétendue des obligations contenues dans ces accords commerciaux. L’organe en question est le Tribunal canadien du commerce extérieur, le TCCE.
Disons qu’un soumissionnaire présente une offre pour un contrat gouvernemental assujetti à au moins un des accords commerciaux et qui atteint les seuils établis dans lesdits accords. Si le soumissionnaire est d’avis que le Canada n’a pas respecté au moins une de ses obligations au titre des accords concernés, il peut déposer une plainte auprès du TCCE et demander un allègement. Il peut alléguer que le processus était injuste et demander à ce que le problème soit résolu.
Le TCCE a plusieurs outils à sa disposition pour régler ce genre de différend: il peut recommander que l’appel d’offres soit annulé et lancé de nouveau; il peut accorder un remboursement des coûts associés à la préparation de la soumission; il peut accorder une indemnisation équivalente aux profits perdus s’il est convaincu que le plaignant aurait été retenu comme soumissionnaire.
Le processus du TCCE a été conçu spécialement pour les acquisitions. Contrairement à un tribunal de droit, le processus du TCCE est très rapide. On parle de jours, contrairement à des mois, voire des années, en ce qui a trait aux tribunaux de droit — 90 à 145 jours, plutôt que deux ou trois ans.
D’un point de vue pratique, le TCCE joue un rôle très important. Habituellement, les biens et services doivent être obtenus au moment de l’achat. Si l’obtention de ces biens est retardée en raison de procédures devant les tribunaux de droit, le gouvernement devra composer avec des retards. Même chose pour les soumissionnaires. Il ne fait aucun doute que mes clients souhaitent que ces problèmes soient réglés rapidement. Grâce à son expertise, le TCCE offre une résolution rapide de ce genre de différend.
Les exceptions au titre de la sécurité nationale entrent en ligne de compte, car tous les accords commerciaux reconnaissent que, dans certains cas, les préoccupations du gouvernement du Canada quant à la sécurité nationale sont justifiées et que, d’un point de vue pratique, l’achat de biens et le respect des obligations au titre des accords commerciaux seraient insensés.
Disons que vous achetez du matériel militaire, mais que vous souhaitez garder cet achat secret. Vous ne voulez pas que d’autres pays sachent ce que vous achetez ou la technologie concernée. Plutôt que de lancer un appel d’offres général, vous voudrez peut-être limiter l’appel d’offres à quelques fournisseurs en qui vous avez confiance. Certains fournisseurs ont déjà fourni des biens au Canada et à ses alliés.
Au fil des ans, lorsque le Canada a invoqué une exception au titre de la sécurité nationale — comme l’a souligné mon ami, ici présent, lorsque le Canada se disait justifié de se soustraire aux obligations stipulées dans les accords commerciaux pour des raisons de sécurité nationale —, il a procédé de manière exhaustive. Il a pris position selon laquelle lorsque le respect des obligations établies dans les accords commerciaux soulève des préoccupations de sécurité nationale, il peut se soustraire à ces obligations, y compris supprimer la possibilité d’un recours auprès du TCCE pour les soumissionnaires qui se sentent lésés. C’est à ce moment que la question de la compétence entre en ligne de compte.
La position du Canada a été — et demeure — que lorsqu’il est question d’une exception au titre de la sécurité nationale, l’acquisition se fait à l’extérieur des accords commerciaux là où le TCCE n’a aucune compétence. Le Tribunal ne peut donc pas, à ce moment, recevoir de plainte. Le TCCE s’est longtemps dit d’accord avec le gouvernement quant à cette pratique. De nombreux soumissionnaires ont tenté de contester ces décisions du gouvernement, mais le TCCE répondait essentiellement que, puisque la sécurité nationale est en jeu, tout ce qu’il peut faire, c’est de s’assurer que l’exception au titre de la sécurité nationale est justifiée. Techniquement, cela se limitait à vérifier que les autorités compétentes avaient autorisé l’exception. Une fois l’autorisation donnée, le TCCE ne pouvait plus rien faire.
Il en a été question lors de la séance de février. Il existe d’autres recours, mais pour diverses raisons, ceux-ci sont insensés sur le plan pratique. En réalité, les tribunaux se distancent des recours administratifs pour ce qu’ils considèrent les entreprises commerciales du gouvernement fédéral.
Au fil des ans, cette pratique a créé un environnement propice aux abus; les tribunaux de droit et le TCCE l’ont reconnu. Je ne dis pas que les abus étaient systémiques ou même qu’il y avait des abus dans la plupart des cas, mais il était certainement possible pour le gouvernement de se soustraire à ses engagements, même si les engagements en question n’avaient rien à voir avec les préoccupations de sécurité nationale.
Revenons à l’exemple du matériel militaire. Au fil des ans, lorsque le gouvernement du Canada souhaitait garder secrètes certaines acquisitions et lançait un appel d’offres à un bassin limité de soumissionnaires en qui il avait confiance, il adoptait aussi une position selon laquelle il pouvait traiter les soumissionnaires de façon injuste — les soumissionnaires du bassin limité et les soumissions limitées — et ceux-ci n’avaient aucun recours, que ce soit en vertu des dispositions des accords commerciaux ou par l’entremise du TCCE.
Ce que nous avons fait valoir dans l’affaire MD Charlton, et le jugement que le tribunal a porté pour la première fois, c’est que, même si le gouvernement était justifié de se soustraire aux obligations stipulées dans les accords commerciaux en cas de préoccupation de sécurité nationale, cela ne devrait s’appliquer que si c’est nécessaire en raison des circonstances. Si, pour des raisons de sécurité nationale, le gouvernement choisit de lancer un appel d’offres à un nombre limité de soumissionnaires, il devrait traiter ces soumissionnaires de façon équitable afin que tous puissent soumissionner. Cela permettrait d’assurer la concurrence et l’équité du processus.
Depuis cette décision, et depuis la séance du 23 février 2017 du Comité, le TCCE, après sa décision dans l’affaire MD Charlton, a rendu une autre décision, cette fois dans l’affaire Hewlett-Packard. Si vous avez eu l’occasion de lire cette décision, vous savez qu’elle explique en détail les efforts du Tribunal et le très bon travail qu’il a fait pour établir le contexte en ce qui a trait aux exceptions au titre de la sécurité nationale.
Le TCCE a changé sa position sur le sujet. Celle-ci est essentiellement conforme à la décision MD Charlton…
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Merci, madame la présidente.
Messieurs, merci d'être ici aujourd'hui.
Je dirais qu'à la base, c'est une question de confiance dans les processus. On a parlé de définition et d'essayer d'encadrer ce qui semble être des appels d'offres problématiques. Il est quand même important d'avoir une définition. M. Cox veut que la définition prévoie une certaine marge de manoeuvre, et je suis d'accord avec lui. On ne peut pas tout catégoriser. Par contre, on pourrait améliorer les processus de vérification et d'assurance de l'intégrité.
Je viens du monde municipal et je ne crois pas qu'à ce niveau il y ait des problèmes liés à la sécurité nationale. Bien sûr, il peut y avoir des situations d'urgence mettant en cause la sécurité nationale, par exemple les inondations qu'il y a en ce moment. Il s'agit de cas d'urgence, mais ils ne sont pas planifiés, alors qu'un appel d'offres l'est. Ainsi, dans l'établissement d'un appel d'offres, il se peut qu'on pense à certaines entreprises en particulier.
J'aimerais savoir quelles solutions ou quelles méthodes on pourrait utiliser pour éviter que des cas n'aboutissent devant les tribunaux. Quand une cause est portée devant les tribunaux, cela nécessite qu'on y consacre temps et argent. De plus, il y a d'innombrables retards, de sorte que les soumissionnaires se découragent. Ils ne soumissionneront peut-être plus, laissant ainsi la place à des soumissionnaires qu'on n'aurait peut-être pas choisis autrement. On finit alors par ne plus avoir de soumissionnaires de valeur.
Je sais qu'on a déjà posé cette question, mais j'aimerais que vous donniez plus de détails sur les moyens qu'on pourrait prendre pour améliorer la situation.
Monsieur McLeod, je vois que vous voulez répondre.
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Merci, madame la présidente.
Pour les cas où le recours à l'exception relative à la sécurité nationale est demandé, Services publics et Approvisionnement Canada dit ce qui suit. Il incombe à la directrice générale des approvisionnements, en collaboration avec le client, de rédiger une lettre destinée à la sous-ministre adjointe de la Direction générale des approvisionnement de Services publics et Approvisionnement Canada en vue d'obtenir son approbation quant au recours à l'exception. Cette lettre doit être signée par le sous-commissaire responsable et doit préciser la nature de l'acquisition ainsi que les motifs de la demande.
Il me semble qu'un premier pas consisterait à permettre à un groupe ou à un comité de parlementaires d'accéder à la lettre pour déterminer si, effectivement, l'exception tient la route en fonction de critères importants comme une guerre biologique, un acte terroriste, un crime d'espionnage industriel, et ainsi de suite.
Il faudrait aussi s'assurer, sur le plan politique, que certaines des raisons évoquées par un gouvernement pour faire une acquisition sans recourir à un appel d'offres sont bel et bien légitimes.
Ne pensez-vous pas qu'il serait pertinent que ce comité puisse avoir accès à la lettre signée par la sous-ministre adjointe?