:
Monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du Comité, je vous remercie de m'avoir invité à témoigner devant vous aujourd'hui.
D'emblée, je tiens à préciser que je me présente devant vous de façon volontaire en tant que simple citoyen, en mon propre nom. Je ne m'exprime pas aujourd'hui au nom de McKinsey et bien évidemment, je ne vous parle pas non plus au nom du gouvernement du Canada.
Je vais prendre quelques instants pour vous parler de mon expérience et formuler des observations à propos des trois volets suivants:
Mon expérience: j'ai commencé ma carrière à titre de consultant au bureau de Toronto de McKinsey en 1986, où j'ai travaillé pendant 10 ans. J'ai ensuite travaillé à son bureau en Corée du Sud et je suis resté 12 ans en Asie. En 2009, j'ai été élu directeur général mondial de McKinsey, poste que j'ai occupé jusqu'en 2018 après trois mandats. En tant que directeur général, mes fonctions ne portaient pas sur l'obtention ni la supervision des mandats rémunérés entre le gouvernement du Canada et l'équipe canadienne de McKinsey.
J'ai quitté McKinsey et j'ai vendu toutes mes actions il y a maintenant plus de trois ans et demi, et cela fait plus de 25 ans que je ne participe plus régulièrement à des mandats de consultation de McKinsey au Canada.
[Français]
Je ne suis ni membre ni partisan d'aucun parti politique au Canada.
[Traduction]
Je crois en l'idée de redonner au Canada. C'est pourquoi j'ai agi à titre de conseiller non rémunéré auprès de différents gouvernements du Canada à plusieurs reprises. Par exemple, en 2010, je faisais partie d'un petit groupe de Canadiens qui conseillaient le ministre des Finances, Jim Flaherty, notamment dans le cadre d'une retraite de deux jours qu'il a animée.
Puis, en 2013, le premier ministre Stephen Harper m'a demandé de siéger au Comité consultatif sur la fonction publique du Canada où je suis resté deux ans.
En 2016, j'ai été invité par le ministre Bill Morneau à présider son Conseil consultatif en matière de croissance économique, qui regroupait 13 autres entrepreneurs. Je dirais qu'il a fait un travail important pour les Canadiens. Ses recommandations comprenaient la construction de plus d'infrastructures canadiennes, l'accélération des approbations pour les projets de ressources, la réduction des formalités administratives, l'attraction de talents et de capitaux étrangers, la libération de secteurs clés, comme l'agriculture, et la mise en place de la base nécessaire pour permettre aux Canadiens d'aller chercher de nouvelles compétences pour faire face aux changements technologiques.
En juillet 2018, j'ai annoncé que je quittais mes fonctions chez McKinsey et que j'entamais le prochain chapitre de ma vie professionnelle, qui comprenait des mandats d'administrateur au sein de conseils de sociétés ouvertes et fermées et de fondations. Afin de soutenir mon épouse Geraldine dans sa carrière, j'ai déménagé de New York à Hong Kong.
En août 2019, on m'a demandé de devenir ambassadeur en Chine, où mon mandat principal était d'obtenir la libération de Michael Kovrig et de Michael Spavor. En acceptant ce poste, j'ai démissionné de plus d'une douzaine de rôles que j'avais récemment assumés partout dans le monde dans le cadre de mon travail d'après-retraite.
Je voudrais formuler quelques observations qui, je l'espère, seront utiles au Comité.
Premièrement, je tiens à souligner que je n'ai participé d'aucune façon à l'attribution de quelque mandat rémunéré que ce soit à McKinsey par le gouvernement fédéral depuis que j'ai déménagé en Asie en 1996. Au moment de me joindre à la fonction publique à titre d'ambassadeur en Chine en 2019, j'ai fait l'objet d'un processus rigoureux de recherche de conflit d'intérêts par le commissaire à l'éthique pour s'assurer que mes postes antérieurs au sein de McKinsey et ailleurs n'entraient pas en conflit avec mes obligations à titre de membre de la fonction publique. Cela comprenait une récusation complète et proactive qui m'empêchait de traiter avec McKinsey et, bien sûr, de participer à toute décision prise par la fonction publique fédérale concernant McKinsey.
Deuxièmement, l'attribution de contrats du gouvernement fédéral est soumise à un processus structuré. L'attribution de contrats n'est pas évaluée au niveau politique, mais plutôt par des fonctionnaires. Parmi les contrats avec le secteur public rapportés par les médias depuis 2015, McKinsey a déclaré publiquement que la plupart d'entre eux ont été le résultat de processus publics concurrentiels de demandes de propositions évaluées de façon indépendante par des fonctionnaires selon des critères objectifs au niveau technique et au niveau des prix. Les contrats restants ont été obtenus dans le cadre d'une offre à commandes-cadre d'envergure nationale, qui n'est elle-même accordée qu'après un processus d'approvisionnement rigoureux.
Des consultants des secteurs privé ou social sont souvent choisis par les gouvernements parce qu'ils sont en mesure de fournir une expertise spécialisée et des solutions novatrices tirées d'une expérience mondiale. Ils peuvent aussi offrir des conseils qui sont objectifs et indépendants moyennant une souplesse qui permet aux gouvernements d'obtenir des conseils sans devoir continuer à assumer les mêmes coûts à d'autres moments et à profiter d'une base solide pour procéder rapidement aux analyses nécessaires.
Il est aussi important de faire la distinction entre le travail de McKinsey et l'époque où, en tant que simple citoyen, j'ai siégé à plusieurs conseils consultatifs à titre de bénévole à la demande du premier ministre Harper et des ministres Flaherty et Morneau. Ces conseils consultatifs ont formulé des recommandations aux élus. Parfois, les élus ont adopté les recommandations faites, et parfois non, mais il s'agissait alors de recommandations formulées par un groupe de bénévoles rassemblés par le gouvernement, et non par McKinsey.
J'ai présidé le Conseil consultatif en matière de croissance économique, et McKinsey a soutenu les travaux du Conseil en fournissant bénévolement des données et des renseignements pour l'aider dans son rôle.
Troisièmement, et finalement, je note que le National Post a signalé qu'au cours du dernier exercice terminé le 31 mars 2022, le gouvernement du Canada a dépensé au moins 22,2 milliards de dollars en services de consultants externes, dont les contrats de McKinsey ne représentaient que 17 millions de dollars.
Je vous remercie de votre invitation et je serai heureux de répondre à vos questions.
Merci.
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Merci beaucoup, monsieur Barton, et merci de vous être présenté volontairement aujourd'hui. Je vous en suis très reconnaissant.
Je commencerai par dire que le Comité a entrepris une étude sur l'impartition qui, selon moi, devrait être très utile pour comprendre si nous dépensons trop d'argent au Canada pour des consultants en gestion ou pour d'autres entrepreneurs extérieurs à la fonction publique. C'est ce que nous devrions faire.
Je suis sûr qu'à causse d'allégations concernant les activités de McKinsey à l'étranger, on vous posera des questions à ce sujet aujourd'hui. Personnellement, j'estime que le gouvernement du Canada devrait notamment se demander si les entreprises présumées avoir commis des actes répréhensibles à l'étranger — surtout si elles ont été reconnues coupables — devraient être autorisées à continuer de faire affaire avec le gouvernement du Canada.
Toutefois, ce n'est pas la raison pour laquelle vous avez été invité ici. Vous l'avez été parce que d'aucuns prétendent que, d'une façon ou d'une autre, une relation inconvenante a permis à la firme McKinsey de passer par vous — comme l'ont souvent décrit les conservateurs ici et à la Chambre des communes — en tant qu'ami personnel proche du premier ministre.
Je vais revenir à la première question que Mme Kusie vous a posée.
Monsieur Barton, vous considérez-vous comme un proche ami du ?
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Merci, monsieur le président.
Monsieur Barton, je vais m'abstenir de vous demander votre date d'anniversaire ou si vous préférez la salade de chou crémeuse ou traditionnelle.
Cependant, je prends note que vous n'êtes plus chez McKinsey. C'est un avantage considérable pour nous parce que vous connaissez intimement ce cabinet, comme bien peu de gens le connaissent. Vous êtes libre de parler, puisque ce n'est plus votre employeur et que vous n'y êtes plus associé. Alors, c'est merveilleux, nous pourrons vous poser des questions plus précises.
En peu de mots, comment définiriez-vous une offre à commandes?
Tirons une chose au clair. En 2013, je ne savais pas qui c'était. Je l'ai rencontré pour la première fois en prenant le même ascenseur pour aller voir Jim Flaherty. J'étais à l'étranger depuis 1996. Je ne regarde pas les informations et je ne suis pas toutes les actualités. Je ne savais donc pas de qui il s'agissait. Quelqu'un nous a présentés: « Voici Justin Trudeau. » C'est ainsi que j'ai fait sa connaissance. Ce fut la première rencontre. Par la suite, pendant l'épisode du Conseil consultatif en matière de croissance économique, je savais de qui il s'agissait et je le reconnaissais.
Avant ma nomination au poste d'ambassadeur, c'est Ian Shugart, le greffier, qui m'a demandé mon aide, pas le . C'est Ian Shugart. Je dois vous expliquer qu'il n'y avait aucune communication avec la Chine. Il ne se passait rien. Vous savez à quel point la situation était mauvaise.
Ils étaient à la recherche d'idées, et j'ai proposé d'essayer d'emprunter une voie détournée pour réamorcer les communications. C'est la première fois que j'ai eu des contacts avec le . Il fallait trouver comment s'y prendre. Cela devait se faire à l'occasion du G20. Environ une demi-douzaine d'autres personnes étaient présentes. C'est la première fois que nous en avons discuté.
J'avais des contacts surtout avec Ian Shugart, qui essayait de me convaincre d'accepter. Je vais être très honnête. Ce fut le plus grand honneur de ma vie de jouer ce rôle, mais je ne me suis pas porté volontaire.
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Monsieur Barton, compte tenu du niveau de notre relation, il y a peu de chances que je vante vos mérites en public. Je ne pense pas que nous ayons ce niveau d'intimité, ce qui suggère quelque chose.
Je vais aborder un tout autre sujet. Il s'agit de la question du Canada, à 100 millions de citoyens, et de la grande région de Montréal, à 12,5 millions de personnes. Il y a une recommandation visant à dynamiser l'économie du Canada.
Vous avez croisé un grand nombre de chiffres. Sur ces 12,5 millions de Montréalais, combien parleraient français? Combien aurons-nous été capables, comme nation, d'intégrer, de franciser et d'inviter à faire partie de la nation québécoise, dont le français est une caractéristique? Ce nombre n'assure-t-il pas qu'il ne restera pas beaucoup de personnes qui parleront français dans l'ensemble?
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D'accord, vous en avez énuméré deux ou trois. J'ai vérifié quelques chiffres. Vous avez raison. En 2021, McKinsey a décroché des contrats totalisant 32 millions de dollars. Deloitte a obtenu des contrats de 28 millions de dollars en 2011, sous les conservateurs, mais de 173 millions en 2021.
Question d'ordre de grandeur, la différence est plutôt nette. En fait, PricewaterhouseCoopers a reçu près de 10 millions de dollars en contrats en 2011, mais 21 millions en 2013, 34 millions en 2014 et 44 millions en 2015, sous un gouvernement conservateur. Vous voyez où je veux en venir. La tendance à l'impartition s'est esquissée sous le gouvernement conservateur, mais le mouvement s'est ensuite emballé. Maintenant, nous en sommes à 93 millions de dollars.
Quels sont les montants totaux? Deloitte a obtenu un demi-milliard de dollars en contrats au cours de la dernière décennie. PricewaterhouseCoopers a reçu 511 millions de dollars. Accenture, 211 millions de dollars. Ernst & Young, 107 millions de dollars. KPMG, 139 millions de dollars, et McKinsey, 68 millions de dollars, sans compter 2022.
Pourquoi, selon vous, le Comité ne s'intéresse‑t‑il pas à toutes ces entreprises? Croyez-vous que certains partis veulent vraiment braquer les projecteurs sur McKinsey et sur vous? Pensez-vous qu'ils veulent vraiment faire toute la lumière sur l'impartition et trouver les moyens d'y mettre un frein? À l'heure actuelle, des millionnaires s'enrichissent davantage grâce à des contrats financés par les deniers publics à un moment où la population a le plus besoin de services.
Tout d'abord, le nombre de questions dont il faut s'occuper simultanément... Je l'ai vu aux Affaires étrangères. Il a fallu rapatrier 60 000 Canadiens de différentes régions du monde. Cela ne s'était jamais fait auparavant.
Lorsque j'y étais, nous avons établi une chaîne d'approvisionnement pour l'équipement de protection individuelle. Cela ne s'apprend pas dans un livre. Quand on devient diplomate, on n'est pas censé se faire demander de mettre en place une chaîne d'approvisionnement. Nous avons dû trouver une solution. L'équipement venait de Chine. À un moment donné, 93 % de notre équipement de protection individuelle provenait de ce pays. Le cabinet Deloitte nous a prêté main-forte. Il a joué un rôle, mais ce sont en fait des fonctionnaires qui accomplissaient le travail. Il y avait des tonnes d'autres problèmes en même temps.
Il y a une énorme charge de travail dont il fallait tenir compte. La rapidité avec laquelle l'information circule... Nous n'avons pas le temps de l'assimiler et de réfléchir. Il faut réagir très rapidement. Il n'y a pas assez de temps pour reprendre pied avant que le problème suivant ne surgisse.
Il y a ensuite toute la question du numérique. Le problème se pose dans toutes les organisations. Les clients s'attendent à cette transition. Le numérique est proposé par les détaillants. Les administrés attendent la même chose du gouvernement, mais, à dire vrai, nous avons des systèmes vétustes qu'il faut remplacer. C'est un travail considérable.
Nous devons examiner certains des éléments qui exercent des pressions sur les fonctionnaires et sur leur capacité de faire leur travail. Ce serait une démarche très féconde.
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Merci, monsieur le président.
Bonjour, monsieur Barton.
Afin d'éclaircir certains points, j'ai plusieurs questions à vous poser.
Vous avez été directeur général mondial de la compagnie McKinsey de 2009 à 2018. Le gouvernement Trudeau est arrivé en place il y a huit ans, en 2015. À partir de ce moment, on a observé une augmentation exponentielle du nombre des contrats octroyés à l'entreprise par le gouvernement du Canada.
Nous aimerions comprendre la manière dont cela s'est passé.
Quand vous étiez directeur général, vous aviez sûrement des relations. Même si vous dites que ce n'est pas le cas, M. Trudeau et Mme Freeland prétendent être des amis proches. Parfois, les gens aiment se donner de la valeur en prétendant être amis avec quelqu'un.
Nous voudrions connaître la discussion que vous avez eue avec le gouvernement Trudeau, que ce soit avec le premier ministre, M. Morneau ou quelqu'un d'autre, pour arriver à obtenir des contrats de façon à ce que McKinsey participe aux activités du gouvernement du Canada et devienne une société de conseil plus active.
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Au lieu de parler de vos intérêts personnels, parlons de McKinsey.
On se questionne actuellement sur les conseils que l'entreprise donne à des pays étrangers, comme l'Arabie saoudite, la Russie et la Chine.
Ici, au Canada, il y a des activités pour lesquelles des budgets sont investis au ministère de la Citoyenneté et de l'Immigration, au ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux, au ministère de la Défense nationale et à l'Agence des services frontaliers du Canada. Or, il y a des problèmes dans ces quatre ministères.
Ce qu'on n'aime pas, c'est lorsque McKinsey conçoit une structure de politiques pour le gouvernement fédéral canadien et que les ministres annoncent un plan qui semble sortir de nulle part. On voit que ce plan vient de McKinsey, mais on n'en connaît pas le contenu exact et on ne sait pas si la fonction publique est en mesure de le mettre en œuvre.
Par exemple, en novembre, le gouvernement a déposé un plan d'immigration, dans lequel on apprend que le Canada accueillera 500 000 nouveaux arrivants à partir de 2025. On sait qu'il s'agit d'une de vos recommandations, mais la machine ne semble pas être en mesure de suivre.
Est-ce que c'est la pratique habituelle de faire des recommandations aux gouvernements et qu'ils fassent exactement ce que vous dites?
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Il s'agissait de la question de l'impartition, de la façon dont elle se fait.
Je crois que nous vivons une période de grands changements et que non seulement les organismes gouvernementaux, mais ceux des secteurs privé et social, subissent d'énormes pressions. L'industrie de la consultation a connu une croissance très rapide. On constate un changement sous-jacent qui se produit. Oui, il se produit au gouvernement, une très forte augmentation, mais cela se produit aussi dans les secteurs privé et social. C'est là où je voulais en venir. Il y a des choses comme la numérisation, des changements exceptionnels dont il faut s'occuper. La COVID‑19 a créé toutes sortes de problèmes pour les organismes.
Tout ce que je sais, c'est que la plupart des cabinets d'experts-conseils étaient extrêmement occupés. Ils n'avaient pas assez de personnel pour faire le travail. Il serait bon que vous posiez cette question à d'autres témoins. Je ne travaillais plus dans ce cabinet, mais c'est ce que je perçois.
Le marché de la consultation d'experts s'est énormément accru.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Monsieur Barton, merci d'être des nôtres ce soir.
J'ai examiné la recommandation de l'Initiative du Siècle et les recommandations faites par le Conseil consultatif en matière de croissance économique. Vous disiez plus tôt que le gouvernement n'avait pas suivi la recommandation de l'Initiative du Siècle visant à accueillir 450 000 immigrants, mais qu'il avait plutôt fait passer ce nombre à 500 000 immigrants. De plus, l'Initative du Siècle propose qu'à partir de 2026, la cible représente 1,25 % de la population canadienne, ce qui équivaudrait à 500 000 personnes cette année-là. C'est donc dire que le gouvernement devance même l'une de vos suggestions. Je dis « vos » parce que vous siégiez au conseil d'administration de l'Initiative du Siècle, tout comme Mark D. Wiseman.
De plus, j'ai remarqué que beaucoup de suggestions de l'Initiative du Siècle se retrouvent dans celles du Conseil. J'aimerais comprendre pourquoi. Vous, M. Wiseman et M. Andrew Pickersgill, qui vous a aidé, faisiez partie de l'Initiative du Siècle, et plusieurs personnes de cet organisme se retrouvent au Conseil. J'aimerais donc comprendre les liens entre les deux.
Finalement, pourquoi le gouvernement suit-il, et devance-t-il même, des mesures qui sont peut-être discutables sur les plans de la préservation et de la valorisation du français?
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Merci, monsieur le président.
Bien entendu, le cabinet McKinsey est une vaste entreprise, et dans vos fonctions de grand patron, vous n'étiez pas nécessairement au courant de tout ce que l'on y faisait — chaque lettre envoyée par la poste, etc. —, mais vous deviez être au courant de certaines choses. Vous étiez certainement responsable de la culture de votre entreprise.
Pour faire suite aux questions de M. Johns, vous avez reconnu qu'il s'était produit quelque chose qui n'aurait pas dû se produire dans le cas de Purdue Pharma. Je voudrais que vous nous disiez ce qui s'est produit, selon vous, et qui en est responsable.
Quand avez-vous pris connaissance pour la première fois du travail que votre entreprise effectuait pour Purdue Pharma?
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Merci, monsieur le président et monsieur Barton.
J'aimerais revenir sur une observation que mon collègue à côté de moi a faite au sujet de la valeur comparative des contrats que le cabinet McKinsey a conclus avec le gouvernement du Canada.
Au cours de votre dernière année à la direction du cabinet McKinsey, en 2018, la valeur des contrats fédéraux conclus avec McKinsey était de 3 millions de dollars. Comparons cela aux 10 milliards de dollars que McKinsey génère dans le monde entier.
Dans son analyse du rapport, la Bibliothèque du Parlement a examiné les contrats de service des six grands cabinets d'experts-conseils, soit Ernst & Young, KPMG, Accenture, PricewaterhouseCoopers et Deloitte. Vous remarquerez que de 2005 à 2022, la valeur des contrats de McKinsey ne constitue qu'environ 3 % de tous ces contrats. Par conséquent, la valeur des contrats de McKinsey est éclipsée par celle des contrats accordés aux cabinets Deloitte, Accenture et PricewaterhouseCoopers.
Pouvez-vous nous expliquer pourquoi il en est ainsi et pourquoi, par exemple, d'autres cabinets d'experts-conseils nous fournissent beaucoup plus de services que McKinsey?
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Je ne sais pas. Leurs services découlent probablement de leur pratique fondamentale. Lorsque je travaillais au cabinet McKinsey, nous ne fournissions que de 5 à 7 % de nos services à la fonction publique, et même aucun service aux gouvernements de certains pays.
Si je peux me permettre, il est difficile de travailler avec le gouvernement. Il est plus difficile que de travailler avec le secteur privé. Je ne parle pas des gens avec qui l'on travaille, mais le processus est évidemment très compliqué, car il y a moins... Nous devons tenir compte des objectifs de la période et autres.
C'est une bonne question. À mon avis, il est bon que le Comité pose cette question, car elle rejoint votre point, si je peux m'exprimer ainsi, qui est d'en élargir la portée. D'autres institutions se portent bien, elles prennent de l'expansion, si l'on peut le dire ainsi. Pourquoi et comment cela fonctionne‑t‑il?
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Oui. J'ai aussi mentionné la numérisation. Les organismes numérisent tout leur fonctionnement. C'est un nouveau phénomène. C'est un travail complexe et ardu qu'il faut absolument accomplir. C'est aussi l'une de ces forces. La COVID‑19 a accéléré ce phénomène, parce que les gens ne pouvaient pas communiquer, alors les organismes ont fait un grand pas en avant dans ce domaine.
Une autre de ces forces découle de la géopolitique et des chaînes d'approvisionnement. En fait, je pense que la guerre crée toutes sortes de défis liés à la sécurité alimentaire, aux chaînes d'approvisionnement, à l'établissement de relations entre pays amis — si c'est ainsi qu'on l'appelle. Le contexte dans lequel nous évoluons actuellement a complètement changé.
Ce ne sont là que trois forces que j'ai constatées. Je suis sûr qu'il y en a d'autres. Comme je l'ai dit, le rapatriement de 60 000 Canadiens coûte cher, et nous n'avons pas les ressources pour le faire. Je me souviens qu'on me téléphonait pour me demander qui était le PDG d'Air India, comment rapatrier les gens qui se trouvaient à bord des navires de croisière, comment tout cela fonctionnait. Les Affaires consulaires ne reçoivent pas souvent de telles requêtes.
Les directives ne traitaient pas de ces problèmes. Il a donc fallu en créer de nouvelles très rapidement et à grande échelle, et je pense que c'est à ce moment‑là que l'on demande de l'aide. Le cabinet avec lequel j'ai travaillé lorsqu'il s'agissait de Deloitte — je n'essaie pas de faire de la publicité pour Deloitte — m'a beaucoup aidé. Je suis heureux que SPAC utilise ses services, car ses experts-conseils ont aidé à gérer les différents fournisseurs pour que nous recevions des services de qualité...
J'aimerais revenir à l'échange de tout à l'heure. Il est revenu dans plusieurs conversations. Il s'agit des difficultés de la transition vers une économie du XXIe siècle qu'a déclenchée la COVID‑19. Un monde s'est fermé et s'est rouvert simultanément, ce qui a créé d'énormes difficultés.
Il est certain que cette situation ne se transformera pas en quelques années en un espace paisible qui nous permettra de gérer le rythme de ces changements. Que pourront faire les gouvernements, par exemple, en coopérant avec les différents secteurs — dont les cabinets de services-conseils — pour rétablir très rapidement les pratiques d'avant la COVID dans les circonstances ultrarapides actuelles?
Pour en revenir à la question de la transparence et des données, comment effectuerons-nous cette transition sans relancer ces mêmes conversations en l'absence de mécanismes qui garantissent l'inclusivité et qui permettent aux gouvernements d'attirer une main-d'œuvre capable d'accomplir cette transition?
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Je pense qu'il y a deux ou trois aspects à considérer.
Encore une fois, je reviens à la formation et au recyclage professionnel. C'est ce qui se passe dans les entreprises. Les budgets de formation des entreprises du palmarès Fortune 500 augmentent très rapidement. Les gens font des choses fondamentalement différentes. Ce que je fais maintenant sera probablement très différent de ce que je ferai dans cinq ans, alors de quelle utilité puis‑je être? On met beaucoup d'argent là‑dedans. Cela peut se faire à l'interne. Encore une fois, lorsque j'étais chez McKinsey, mis à part la R‑D dont je parlais, notre plus gros budget était la formation, parce qu'il faut en faire.
Il faut plus de ressources pour former les gens en place, force est de le reconnaître. Cela peut se faire par des organisations du secteur privé, dont les universités. Il ne s'agit pas de s'absenter pendant un an. On parle d'un programme de deux semaines, ou d'un programme à temps partiel, comme cela s'est fait chez AT&T. C'est une affaire de deux heures par semaine, et vous obtenez un certificat de compétence en numérique si vous vous rendez au bout. L'idée est de pouvoir travailler et apprendre, n'est‑ce pas? Nous en avons besoin.
Le gouvernement actuel et tous les gouvernements ont besoin d'une transformation technologique. Je m'excuse de le dire si crûment, mais nous sommes à l'âge de pierre. Nous devons y mettre l'argent nécessaire. Il en faudra beaucoup pour y arriver, mais l'organisation n'en sera que plus efficace.
À mon avis, c'est une question de formation et de technologie. Je pense que le va‑et‑vient a du bon. C'est une bonne chose que des gens du secteur privé passent à la fonction publique et que des fonctionnaires fassent l'inverse: cela permet d'élargir la perspective des choses.
L'autre chose que je garde toujours à l'esprit avec ces changements... La durée de vie moyenne d'une entreprise en 1935, qui n'était pas une bonne année pour être cotée en bourse, était d'environ 90 ans. La durée de vie moyenne d'une entreprise cotée en bourse aujourd'hui est d'environ 14 ans. Cela vous donne une idée du rythme de changement. Il est très difficile de suivre la cadence. Rien ne va remplacer le gouvernement. On ne verra pas un nouveau gouvernement, mais il faut avoir cette mentalité.
Personnellement, pour ce que cela vaut, je pense que cela passe par la formation et la technologie.
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Je crains que votre temps soit écoulé, madame Block. Vous pourrez peut-être vous reprendre au prochain tour.
Monsieur Housefather, vous avez cinq minutes.
Chers collègues, nous avons commencé avec quelques minutes de retard, mais nous nous sommes bien rattrapés, de sorte qu'il nous reste un peu de temps. Après M. Housefather, nous accorderons trois minutes aux conservateurs, puis trois minutes aux libéraux, une minute au Bloc et une minute à M. Johns pour le mot de la fin.
Merci.
Allez‑y, monsieur Housefather. Vous avez cinq minutes.
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Merci, monsieur le président.
M. Housefather a fait de vaillants efforts pour aider et défendre le témoin, mais je tiens à préciser et à faire valoir notre position, à savoir qu'il ne s'agit pas d'un autre sujet. Le sujet reste le même: le témoin, M. Barton, a dirigé McKinsey pendant une dizaine d'années. Durant cette période, McKinsey a été mêlée à une multitude de scandales éthiques et moraux dans le monde entier, qui semble avoir largement échappé au témoin d'après ce qu'il nous dit.
En même temps, il travaillait avec le gouvernement du Canada et conseillait le dans une série de dossiers qui auraient pu intéresser certains de ces mêmes clients. Les conseils qu'il donnait au gouvernement du Canada auraient pu intéresser des entreprises d'État chinoises pour lesquelles McKinsey travaillait, des clients du secteur privé, diverses entreprises qui étaient réglementées par le gouvernement du Canada. Il ne s'agit pas d'un autre sujet, comme le laisse entendre M. Housefather. C'est le même sujet.
Évidemment, je ne tiens pas M. Barton responsable des activités actuelles de McKinsey ou de quoi que ce soit d'ultérieur à son départ, mais je pense qu'il y a lieu de tenir le chef responsable de ce que son entreprise a fait ou n'a pas fait, notamment de fournir des conseils à Purdue Pharma, des conseils qui comprenaient le versement de primes aux pharmaciens pour des décès par surdose. Cela relève de la culture qui existait chez McKinsey, monsieur, lorsque vous étiez à sa tête. Cependant, vous affirmez ne pas être au courant des travaux de McKinsey sur les opioïdes, alors permettez-moi de vous poser rapidement d'autres questions sur ce que vous saviez ou ne saviez pas.
Étiez-vous au courant du travail de McKinsey pour le gouvernement saoudien lorsque vous étiez chez McKinsey?
Je crois que McKinsey est une entreprise guidée par des principes et des valeurs qui a contribué de façon extraordinaire à la lutte contre le virus Ebola et contre le SRMO et dans la mise au point de vaccins. Elle contribue énormément à procurer du travail aux jeunes chômeurs. C'est une très grande entreprise.
Vous mettez le doigt sur les problèmes, et vous avez raison au sujet de Purdue Pharma. C'est une erreur, mais il y a beaucoup d'autres domaines où cela a bien fonctionné.
Il y a autre chose que j'aimerais souligner. Il est intéressant de constater qu'aujourd'hui, pour chaque poste disponible chez McKinsey, il y a 300 personnes de talent qui posent leur candidature.
Deuxièmement, McKinsey continue de grandir et de travailler avec ses clients sur des dossiers récurrents. C'est ce que je constate.
Troisièmement, c'est la plus importante pépinière de chefs d'entreprise qui soit. Si vous cherchez des chefs de direction ou des dirigeants d'organisations, c'est là qu'il faut regarder.
Votre définition de McKinsey est poussée à l'extrême, et vous adorez citer le livre. Ce livre ne s'est pas vendu, et c'est de lui que vous tirez vos exemples. Il fait d'ailleurs l'objet de critiques assez vives, qui dénoncent un fort parti pris contre le capitalisme, avec McKinsey comme cible principale. Si on poursuit la lecture, apparemment, c'est McKinsey qui serait responsable de la crise financière. Je suis surpris que vous ne l'ayez pas mentionné, parce que nous avons inventé la titrisation et c'est cela qui aurait provoqué la crise.
Il y a trop d'arguments de ce genre et je pense qu'ils sont exagérés. Oui, McKinsey a fait des erreurs. C'est une grande entreprise. Elle compte 40 000 employés. Toutes les organisations ont leur lot de problèmes, mais si on considère tout ce que McKinsey a fait dans bien des endroits différents dans le monde, on voit que c'est très important.
Je trouve simplement que vous l'envisagez sous un angle extrême. Voilà ce que je pense.
Avant de donner la parole à M. Johns, je vais intervenir quelques secondes, car je crois savoir où M. Johns veut en venir, et c'est très bien.
Monsieur Barton, merci de votre présence.
Je n'ai que quelques questions. Je vais me servir de la prérogative de la présidence pour les poser. Je veux donner suite à ce qui s'est dit. Je vais présumer que vous n'étiez pas en train de menacer M. Genuis, un député. J'ai eu l'impression que vous glissiez dans cette direction. Je tiens à m'assurer que ce n'était pas votre intention.
Une question a été posée à quelques reprises. Je n'ai pas entendu, mais je me demande si vous pourriez nous dire... Lorsque vous êtes devenu ambassadeur, vous avez vendu vos actions de McKinsey. Je suppose qu'un chèque a été rédigé exprès pour vous. Il ne s'agissait pas d'échanger vos actions contre celles d'autres... Un chèque a été fait à votre nom et c'est ainsi que vous avez mis fin à votre relation avec McKinsey.