Bienvenue à la 64e réunion du Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires de la Chambre des communes. Conformément à l'ordre de renvoi adopté par la Chambre des communes le mercredi 15 février 2023, nous nous réunissons pour étudier le projet de loi , Loi modifiant la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles.
Nous allons poursuivre cette étude jusqu'à 16 h 30, après quoi nous passerons à huis clos pour mettre la dernière main à celle portant sur le gouverneur général.
Nous accueillons aujourd'hui plusieurs témoins en personne et un autre en mode virtuel. Je veux juste confirmer que nous avons effectué les tests de son requis avec ce dernier au bénéfice de nos interprètes. Nous allons maintenant entendre les observations préliminaires de nos invités.
Monsieur Bruyea, vous serez le premier à prendre la parole. M. Devine et la Dre Brill‑Edwards suivront.
Nous vous écoutons, monsieur Bruyea.
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Merci, monsieur le président.
Je tiens à vous remercier sincèrement de m'avoir invité aujourd'hui. Après 17 années sans véritable changement de fond à la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles, une loi fortement discriminatoire qui était vouée à l'échec, le projet de loi est ce premier pas crucial dans la bonne direction que l'on attendait désespérément depuis si longtemps. Il n'y a aucune disposition de ce projet de loi que je voudrais supprimer. Cependant, à l'instar de ceux qui m'ont précédé et de ceux qui me suivront, je recommande quelques ajouts essentiels. Vous les trouverez dans le mémoire de quatre pages que j'ai soumis au Comité.
Permettez-moi d'abord et avant tout de vous raconter mon histoire pour souligner la gravité de la situation et vous éclairer dans votre excellent travail.
À titre d'officier de renseignement dans la Force aérienne, j'ai servi durant la guerre du Golfe. J'en suis revenu plus tôt que prévu, brisé aussi bien physiquement que mentalement, perdu dans une culture militaire qui ostracise sans pitié toute forme de blessure en l'assimilant à une faiblesse morale. J'ai caché la plus grande partie de ma souffrance, et je n'ai donc reçu que très peu d'aide. Au bout d'un dédale de méandres bureaucratiques, Anciens Combattants Canada, ou ACC, a fini par reconnaître mes incapacités et à m'offrir les soins et les traitements dont j'avais besoin.
En reprenant mes forces, je n'ai pu faire autrement que de constater que le régime en place abandonnait, voire détruisait, un si grand nombre de ceux qu'il devrait plutôt aider. J'allais être le premier à m'élever contre l'initiative de 2005 visant à économiser de l'argent en remplaçant les pensions d'invalidité à vie pour les anciens combattants par des paiements forfaitaires.
Mes revendications en faveur d'un traitement équitable m'ont valu l'attention et les foudres des hauts fonctionnaires. J'avais perdu une bonne partie de mon bien-être et de ma santé à vouloir protéger un pays dont le gouvernement cherchait maintenant à se venger. On a menacé de me priver de mes prestations et de mes traitements, et on l'a carrément fait dans certains cas. Des alliés qui siégeaient au Parlement ont refusé de prendre ma défense. Même les gens du Cabinet du premier ministre m'ont dit que je devrais aller me faire soigner, comme si ces représailles étaient simplement une manifestation d'un trouble de stress post-traumatique lié au combat.
Je me suis battu bec et ongles pour défendre ma famille. Ma femme, une immigrante, n'avait pas encore la citoyenneté canadienne. Des hauts fonctionnaires n'ayant aucune formation médicale m'ont tendu un guet-apens en m'invitant à une « discussion amicale » au cours de laquelle on m'a servi un ultimatum pour que j'accepte d'être hospitalisé dans une clinique du ministère afin d'y recevoir des soins psychiatriques. Si je refusais — et les fonctionnaires avaient communiqué les résultats de mon évaluation médicale au ministre avant même que cela se fasse —, ACC allait cesser de payer ceux qui me dispensaient des soins en santé mentale, sachant très bien que cela risquait de me mener au suicide.
Il m'a fallu cinq ans pour faire la preuve de tout cela. En 2010, tous les aspects de ma vie personnelle avaient été documentés au moyen de plus de 14 000 pages qui ont été rendues disponibles à Anciens Combattants Canada. Le ministère a ensuite déformé ces renseignements pour les intégrer à des notes d'information transmises à plus de 250 hauts fonctionnaires, à mon député, au secrétaire parlementaire du comité des anciens combattants et à deux ministres, en plus d'être utilisées lors de séances d'information au Cabinet du premier ministre. Parallèlement à cela, une autre longue bataille a finalement amené ACC à admettre avoir en sa possession plus de 2,1 millions de pages de documents à la suite d'une demande que j'ai présentée concernant la surveillance par le ministère des rubriques de journal que je rédigeais et de mes apparitions dans les médias.
La preuve est accablante. Les hauts fonctionnaires se sont retroussé les manches pour mettre en œuvre un plan en deux parties visant à m'enlever mes prestations et mes traitements tout en me discréditant, personnellement comme dans mon rôle de militant. C'est ainsi que j'allais recevoir des excuses officielles du gouvernement fédéral. Si l'on fait exception des individus condamnés injustement, j'étais à ce moment‑là l'une des deux seules personnes à avoir eu droit à de telles excuses. L'autre était Maher Arar.
J'ai repris ma vie en main encore une fois pour décrocher une maîtrise en éthique publique. Peu après, soit en 2017, le gouvernement a déposé d'autres mesures législatives plutôt décevantes en prétendant rétablir ainsi les pensions à vie. J'ai dénoncé cette affirmation. Le ministre Seamus O'Reagan m'a alors accusé dans un journal de véhiculer des faussetés. Le lendemain de la publication de cet article, le ministère a mis fin, sans avertissement ni consultation, à la prise en charge de mon fils qui avait alors six ans. La seule différence, c'est qu'Anciens Combattants Canada en avait beaucoup appris depuis 2010 sur les atteintes à la vie privée et les excuses à présenter. Les fonctionnaires n'ont jamais consigné les raisons pour lesquelles cette prise en charge avait été annulée, ou ont simplement refusé de communiquer cette information.
Mes quatre années de travail auprès des commissaires à la protection de la vie privée et à l'information m'ont profondément découragé. Ma santé s'est alors dégradée de nouveau. À mes problèmes de trouble de stress post-traumatique et de dépression s'ajoutait un trouble anxieux grave, un intrus dont j'aurais fort bien pu me passer. Encore une fois, mon esprit et mon corps m'abandonnaient avec des crises de panique qui duraient, non pas des heures, mais des mois. Les appels téléphoniques du gestionnaire de cas qui avait signé la lettre mettant fin à la prise en charge de mon fils m'ont valu plusieurs visites à l'urgence avec de l'arythmie cardiaque. Les ambulances se présentaient à la maison sous le regard de mon fils et je me retrouvais chaque mois aux urgences ou hospitalisé à la suite d'incidents survenus à mon domicile alors que mon esprit et mon corps se sont totalement déconnectés.
Après 30 ans à souffrir d'une prostatite persistante causée par la guerre du Golfe, j'ai reçu un diagnostic de cancer de stade 3. Je récupère actuellement de l'intervention chirurgicale que j'ai dû subir.
Des dizaines de fonctionnaires parmi les plus haut placés ont tout fait pour m'humilier, me dévaloriser et me discréditer avant de s'en prendre aux soins dispensés à mon fils, alors que je devais déjà composer avec des maladies chroniques potentiellement mortelles découlant de mon service militaire, et c'est pourtant moi que l'on accusait d'être déraisonnable, instable et menteur.
On se demande pourquoi quiconque occupant quelque poste que ce soit au sein de notre gouvernement fédéral risquerait son emploi, sa santé, sa réputation et son bonheur familial pour dénoncer une situation. Eh bien, il y a des gens qui le font par pur altruisme. Comme ces gens‑là, j'estime que la corruption et l'incurie dont nous sommes témoins dans ce pays que nous aimons tant… Il faut dénoncer des comportements aussi malhonnêtes et nocifs, sans quoi ce sont nos concitoyens et notre pays tout entier qui risquent d'en souffrir.
Je suis tout à fait favorable à ce que la portée de la loi soit étendue aux anciens fonctionnaires et aux entrepreneurs. Le personnel et les militaires en service ont accès à des mécanismes internes de traitement des plaintes qui sont loin d'être sans faille. Il n'en demeure pas moins que les vétérans forment le seul groupe parmi les anciens employés fédéraux à se retrouver sans protection, alors même qu'ils sont totalement à la merci des caprices d'une bureaucratie vengeresse.
Plus de 100 000 vétérans et près de 40 000 de leurs proches sont partiellement ou totalement dépendants d'Anciens Combattants Canada pour ce qui est de leur sécurité financière. Il n'y a pas de magasin à grande surface où un ancien combattant peut trouver les prestations et les services dont il a besoin. Il peut se tourner uniquement vers le ministère. Les vétérans et leurs familles se retrouvent ainsi dans une situation particulièrement vulnérable, surtout quand on sait que près de 40 000 anciens combattants sont aux prises avec des problèmes de santé mentale.
Les vétérans sont aussi les mieux placés pour observer et même ressentir les effets de toute malversation pouvant découler non seulement des marchés de 200 millions de dollars par année octroyés par Anciens Combattants Canada, mais aussi du nouveau contrat d'une valeur d'un demi-milliard de dollars pour la réadaptation. Le Canada doit accorder une aussi grande importance à la saine gouvernance et à la reddition de comptes que le font les autres pays développés.
Nous ne devons pas voir la dénonciation des actes répréhensibles simplement comme un droit inhérent à être protégé, de la même façon que nous protégeons la liberté d'expression grâce à notre Charte des droits et libertés. Nous devons plutôt considérer que cette dénonciation est la voix de la raison, de l'indépendance et de la responsabilisation au sein d'un système où les hauts fonctionnaires ont toutes les cartes dans leur jeu pour éviter systématiquement d'avoir des comptes à rendre.
En fin de compte, nous devons protéger les dénonciateurs, et surtout…
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Merci de m'avoir invité et d'avoir bien voulu tenir compte de mes disponibilités.
Je travaille pour le Government Accountability Project, une organisation non partisane et sans but lucratif qui appuie tous ces gens qui mettent à profit leur liberté d'expression pour dénoncer les abus de pouvoir trahissant la confiance du public.
Depuis que je me suis joint à l'organisation en 1979, j'ai travaillé auprès de plus de 8 000 dénonciateurs en plus de contribuer à l'adoption de 38 lois différentes en la matière. Nous nous retrouvons en plein cœur d'une véritable révolution juridique.
À mon arrivée, les États-Unis étaient le seul pays au monde à avoir adopté une loi pour la protection des dénonciateurs — c'était l'année précédente, en 1978 —, et il y a maintenant 49 pays qui ont une loi semblable d'application générale et 123 autres qui ont des lois sectorielles. Ces lois permettent vraiment d'améliorer les choses comme en témoignent les exemples fournis dans le mémoire que je vous ai transmis.
Les droits ne sont cependant pas tous égaux. Les lois pour la protection des dénonciateurs sont des boucliers permettant d'exercer sa liberté d'expression à l'abri des représailles, car ceux qui s'en prennent aux abus de pouvoir se retrouvent du même coup sur le sentier de la guerre. Si vous livrez bataille avec un bouclier de métal, vous vous exposez au danger, mais vous avez tout de même de bonnes chances de vous en tirer. Si par contre vous vous présentez au combat avec un bouclier de carton, peu importe les ornements dont il peut être paré ou les battages de publicité ayant pu mener à son déploiement, vous allez mourir. Malheureusement, un trop grand nombre des lois visant à protéger les dénonciateurs sont de simples boucliers de carton.
Notre organisation a mené en collaboration avec l'Association internationale du barreau une étude qui a permis de dégager par voie de consensus les 20 pratiques les plus efficaces à l'échelle planétaire pour faire valoir ces droits. Je tiens à souligner que les pratiques en question ont été adoptées dans les quatre continents. Elles sont ajustées en fonction des structures juridiques propres à chaque pays, mais les principes qui les sous-tendent sont universels.
Nous avons constaté que le Canada n'a recours qu'à une seule des 20 pratiques exemplaires qui font consensus selon cette étude. Le Canada se classe ainsi au dernier rang mondial, à égalité avec le Liban, pour ce qui est de l'efficacité de sa loi pour la protection des dénonciateurs. À mes yeux, on ne peut même pas parler d'un bouclier de carton. Cette loi qui avalise systématiquement les représailles ressemble davantage à un bouclier de papier mouchoir, et les organismes de soutien comme le nôtre se doivent de mettre en garde les dénonciateurs qui envisageraient de s'en remettre à une telle loi.
Le projet de loi permettrait d'améliorer grandement les choses. Il faut rendre à César ce qui revient à César.
Il permet de supprimer le critère des motivations du dénonciateur dont on faisait le procès, plutôt que de s'intéresser à la conduite répréhensible qui était mise au jour.
Il assure la protection contre les abus de pouvoir. Les dispositions en ce sens sont à la base des efforts déployés à l'échelle mondiale pour faire valoir les droits des dénonciateurs, et il y a tout lieu de s'inquiéter de leur absence dans la loi canadienne. Ces abus sont clairement définis comme étant des gestes arbitraires et frivoles donnant lieu à du favoritisme ou à de la discrimination.
Le projet de loi protège toute l'équipe responsable d'une dénonciation en bonne et due forme, plutôt que seulement le messager final. La solidarité est essentielle à la survie d'un dénonciateur, et l'isolement peut lui être fatal. Le projet de loi favorise la solidarité.
Il offre une protection efficace de l'identité, car le dénonciateur doit donner son approbation pour que son identité soit révélée.
Le projet de loi supprime en outre le droit de veto du commissaire à l’intégrité du secteur public quant à l'accès à un examen judiciaire, véritable talon d'Achille de la loi en vigueur.
Il porte à un an le délai pour porter plainte et faire valoir ses droits, ce qui est préférable à la limite actuelle de 60 jours qui est nettement insuffisante.
On établit en outre une nouvelle norme d'excellence en ce qui a trait à la reddition de comptes assortie de mesures disciplinaires en permettant au dénonciateur de contre-attaquer en s'en prenant à la personne qui l'intimide lorsqu'il cherche à se défendre.
Malgré ces améliorations qui sont les bienvenues et dont on avait désespérément besoin, la loi n'offrira toujours pas une protection crédible contre les représailles. Les changements apportés constituent une percée qui s'imposait vraiment, mais qui n'est pas suffisante.
Vous trouverez dans mon mémoire une dizaine de recommandations que je soumets à votre considération. Je pense qu'il faut s'assurer d'abord et avant tout qu'aucun droit ne peut être annihilé au moyen d'une entente de non‑divulgation qui serait une condition préalable à l'emploi, ou via l'application des dispositions réglementaires d'une organisation supprimant le droit à la liberté d'expression conféré par la Charte, comme c'est le cas avec la loi actuelle.
Deuxièmement, il y a le fardeau de la preuve, c'est-à-dire les règles établissant jusqu'où il faut aller dans la preuve à établir pour avoir gain de cause. L'Union européenne et les États-Unis s'en remettent à des fardeaux de la preuve analogues qu'il y aurait lieu de prendre en considération.
Troisièmement, il est nécessaire d'offrir des mesures de redressement provisoires pour permettre aux dénonciateurs de s'en tirer lorsque le différend perdure pendant plusieurs années. C'est aussi une façon d'inciter les organisations en cause à trouver un terrain d'entente, plutôt que de laisser traîner les choses.
Quatrièmement, il faut offrir de la formation et du counseling sans risque afin que les gens comprennent bien leurs droits et qu'un changement de culture devienne possible.
Enfin, il convient de rétablir les recours qui existaient avant l'adoption de la Loi, car ces recours représentaient des solutions plus efficaces.
Monsieur le président, le projet de loi est une véritable percée pouvant nous permettre d'aller de l'avant, mais il demeure insuffisant. S'il est adopté, les dénonciateurs canadiens pourront troquer leur bouclier de papier mouchoir pour un bouclier de plastique. Je vous exhorte à y apporter les modifications nécessaires pour en faire un bouclier de métal.
C'est en ma qualité d'ancienne gestionnaire de la fonction publique ayant dû devenir révélatrice de la vérité en deux occasions, une fois à l'interne et l'autre à l'externe, que je suis ici pour vous présenter mon point de vue sur les améliorations à apporter au chapitre de la protection des dénonciateurs.
J'ai commencé à travailler au service de réglementation des médicaments de Santé Canada en 1980, et j'ai dirigé ce service de 1988 à 1992 à titre de médecin-chef responsable de la réglementation des médicaments d'ordonnance au Canada. C'est le service qui autorise la tenue d'essais cliniques et approuve la mise en marché des médicaments d'ordonnance dans notre pays.
J'ai apprécié les stimulants défis associés à ce travail dans un rôle de direction, mais je me suis peu à peu rendu compte que les hauts dirigeants de Santé Canada mettaient parfois la santé des Canadiens en péril en courant des risques inutiles dans la quête de présumés avantages politiques et industriels. Une telle façon de faire va à l'encontre de la Loi sur les aliments et les drogues qui vise bien sûr à assurer la sécurité des Canadiens.
Lorsqu'une situation semblable s'est produite en 1991, j'ai contribué à ce que nous ayons gain de cause devant la Cour fédérale pour démettre de ses fonctions un cadre supérieur de Santé Canada qui avait annulé des décisions importantes quant au contrôle de médicaments potentiellement létaux. À peine six mois plus tard, ce même directeur était réintégré par le ministère dans le cadre d'un nouveau processus, alors que mon propre poste de direction était rayé de l'organigramme.
Je me préparais alors à quitter Santé Canada après avoir remporté un concours international pour un poste à l'Organisation mondiale de la santé. Pour accéder à un poste semblable, il faut obtenir l'approbation de son gouvernement. À Santé Canada, le sous-ministre était trop heureux d'acquiescer à mon départ, mais il ne l'a fait qu'en échange de mon silence lors d'éventuelles poursuites judiciaires à venir. J'ai refusé d'être muselée de la sorte pour des questions de sécurité, renonçant du même coup à un emploi de rêve qui aurait relancé ma carrière.
Finalement, en 1996, lorsque Santé Canada a négligé de retirer du marché un médicament pour le cœur qui était dangereux, j'ai remis ma démission et j'ai sonné l'alarme dans un documentaire-choc de CBC révélant que Santé Canada s'en remettait à l'expertise biaisée de médecins entretenant des liens étroits avec l'industrie pharmaceutique. Ce documentaire a ouvert la voie à des travaux sans précédent qui ont démontré sans équivoque que ces liens avec l'industrie faussent l'interprétation de la recherche pharmaceutique par les médecins. En conséquence, les lignes directrices concernant les conflits d'intérêts dans le secteur médical ont été actualisées à l'échelle internationale, y compris par la Food and Drug Administration aux États-Unis, mais pas par Santé Canada.
Après ma démission, je me suis retrouvée sur une liste noire et j'ai été sans travail pendant près de quatre ans. J'en ai profité pour me faire la porte-parole de cette cause d'intérêt public, avec différents alliés, de telle sorte que les citoyens comprennent bien le danger extrême que nous fait courir un ministère de la Santé qui se sert du prétexte de la déréglementation pour désactiver des systèmes d'alarme essentiels à la protection de vies humaines.
Dès 1998, ces efforts avaient porté fruit. Des sonneries d'alarme se faisaient entendre partout au pays. Santé Canada se retrouvait sur la sellette en raison de la multiplication de ce qu'on pourrait appeler, je suppose, des faux pas, alors qu'il s'agissait en fait de scandales. Ma famille en a payé cruellement le prix avec le décès de ma mère en 1999, résultat de tous ces tourments et de tout ce stress auxquels nous avons été exposés.
Je veux prendre un moment pour vous entretenir brièvement des changements législatifs nécessaires concernant les pratiques judiciaires actuelles.
Il va de soi que ces modifications législatives doivent s'accompagner d'un changement de culture si l'on veut dégager des pistes de solution, mais l'aspect législatif demeure celui qui prime à mes yeux. Pour offrir aux dénonciateurs le respect et la protection qu'ils méritent, il faut d'abord et avant tout apporter des modifications à la Loi de telle sorte que des sanctions soient imposées lorsque ces dénonciateurs sont victimes de représailles, comme M. Devine vient tout juste de l'indiquer.
Pourquoi est‑ce que je dis cela? D'après mon expérience, au sein de la fonction publique du Canada, on adhère depuis longtemps et de façon généralisée au principe de loyauté. Je parle ici des procédures normalisées de dissimulation et de tromperie profondément enracinées qui sont utilisées automatiquement pour protéger à tout prix l'image du ministre et du gouvernement. Faire tout ce qu'il faut pour cacher quelque chose — jusqu'à mentir, malheureusement —, même si cela met en danger la vie des Canadiens. Chercher et détruire la personne qui dit la vérité et qui menace le maintien des apparences...
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Merci. Je suis vraiment ravie d'être ici aujourd'hui. En tant que Canadienne qui n'a pas travaillé directement dans le domaine de la dénonciation au Canada, sauf dans le cadre de certains travaux avec le Centre for Free Expression de l'Université métropolitaine de Toronto, je suis très heureuse que vous révisiez cette loi.
Je travaille dans le domaine depuis 23 ans. J'ai été admise au Barreau de l'Ontario, mais j'ai changé d'allégeance pour la Law Society of England and Wales. J'étais directrice adjointe de l'organisation Public Concern at Work — qui s'appelle maintenant Protect — et j'ai donc répondu aux appels téléphoniques de dénonciateurs de tout le Royaume-Uni. Au Royaume-Uni, la loi sur la dénonciation est en vigueur depuis 1993. Elle couvre les travailleurs du secteur public, du secteur privé et des organismes de bienfaisance.
Ce qui m'a étonnée, même si le Canada a adopté une loi dans les années 2000 — évidemment dans une période où d'autres prenaient ces mesures —, c'est que la loi en tant que telle ne reprenait pas certaines des pratiques exemplaires qui sont logiques. Je pense qu'on vous en a déjà parlé. Je vais les mentionner très brièvement.
Je tiens à souligner que ce n'est pas nouveau. Les Grecs de l'Antiquité avaient un terme pour cela: « parrhèsia », ou il s'agit de « prendre de parole sans crainte ». Sous les monarques helléniques, par exemple, le conseiller du roi était tenu de le faire pour aider le roi à prendre des décisions, mais aussi pour atténuer son pouvoir.
Je souligne que le Canada semble avoir mis en œuvre une loi qui est tout à fait adéquate lorsqu'il s'agit d'aider le gouvernement à prendre des décisions. Elle améliore les choses en partie sur le plan de la transmission de renseignements au gouvernement. Cependant, le Canada n'a pas mis en œuvre une loi qui atténue vraiment le pouvoir et vise les gens qui sont négligents ou qui abusent de leur pouvoir.
Bien sûr, l'acte de dénoncer n'a rien perdu de son importance au cours de mes 23 années de travail sur le terrain: du médecin chinois qui a été la première personne à nous prévenir de l'existence de la COVID‑19 — et qui en est décédé — aux centaines de travailleurs des soins de santé à travers le monde qui ont dénoncé les pénuries d'approvisionnement et les cas de mauvaise gestion. Grâce à ces gens qui ont dit la vérité, nous en avons su davantage sur la manière de nous protéger et sur la réalité de la pandémie, mais malheureusement, on a tenté de faire taire ces voix sur deux plans. Le Dr Li a d'abord reçu l'ordre de la police de cesser de faire de « fausses » observations, et des médecins, des infirmières et des fonctionnaires du monde entier ont perdu leur emploi pour avoir parlé.
Nous savons que les lanceurs d'alerte sont généralement ceux qui, dans les lieux de travail, que ce soit dans le secteur public, privé ou caritatif, sont les premiers à constater que quelque chose ne va pas. Ils jouent donc souvent un rôle préventif. En tant que Canadienne, je trouve que c'est parfaitement logique. Des gens dénoncent les actes répréhensibles. Si cela n'est pas traité comme quelque chose qui pourrait nuire à d'autres et qu'ils perdent leur emploi ou subissent des représailles, la loi devrait intervenir et les protéger.
Les lanceurs d'alerte sont également considérés aujourd'hui comme étant essentiels pour une application de la loi contre la corruption qui soit crédible. Bien entendu, ils peuvent être une menace pour les dirigeants d'organisations qui, peut-être, abusent eux-mêmes de leur pouvoir ou qui n'aiment pas qu'on leur pose des questions. Souvent, ils réagissent par une volonté quasi instinctive d'éliminer la menace. Nous devons partir du principe que « lanceur d'alerte » n'est pas synonyme de « martyr ». Nous avons besoin de lois qui, comme l'a souligné Tom Devine, donnent aux dénonciateurs de bonnes chances de s'en tirer. Les lois doivent avoir du mordant.
Une chose à laquelle nous devons penser lorsque nous parlons de cette révolution dans les lois sur la dénonciation... Un certain nombre de mesures législatives ont été adoptées au fil du temps. J'ai pensé en mentionner quelques-unes dans le cadre desquelles certains des éléments dont nous parlons ont été mis en pratique dès le départ.
Par exemple, l'un de vos témoins d'aujourd'hui a parlé du fait de travailler pour l'armée ou de travailler potentiellement avec de l'information constituant des renseignements secrets officiels. L'Irlande dispose d'une loi depuis 2014. Dans le cadre de cette loi, elle a un système spécial pour protéger les personnes qui travaillent avec ce genre d'information.
En Serbie, depuis 2014, la loi sur la protection des lanceurs d'alerte prévoit également une obligation pour les juges d'être formés avant de pouvoir entendre des plaintes de dénonciateurs. Les seules autres lois pour lesquelles ils doivent recevoir une formation sont celles sur la protection des enfants. La corrélation entre la formation judiciaire et la mise en œuvre la plus rigoureuse d'injonctions provisoires jamais observée dans un pays est évidente. Ce système commence à être déployé et à faire l'objet de discussions en Europe.
Tom Devine a également parlé de la directive de l'Union européenne. J'ai également inclus dans mes notes le lien vers le « EU whistleblowing monitor ». Vous pouvez constater que nous suivons l'évolution de la situation concernant les mesures législatives qui sont adoptées dans l'ensemble de l'Union européenne. Avec la directive de l'Union européenne — qui oblige évidemment 27 pays européens à adopter des mesures législatives —, nous assistons à ce que je considère comme un changement important qui doit être pris en compte dans la loi canadienne. Il s'agit autant d'une question de responsabilité que de protection de l'individu. Dans le cadre de la loi, les employeurs, les organisations et les organismes de réglementation ont désormais des devoirs de diligence quant à la manière dont ils gèrent leurs systèmes de protection des lanceurs d'alerte.
Je pense qu'il y a cinq éléments essentiels. M. Devine vous a donné beaucoup de détails sur ce qui doit être mis en place, mais je voulais insister sur cinq d'entre eux. La définition...
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Merci, monsieur le président. J'ai déjà réduit ma déclaration et j'espère qu'elle durera moins de deux minutes.
Puisque M. Devine était absent la semaine dernière, je reviens pour présenter un témoignage auquel lui et moi avons collaboré.
À FAIR, l'organisme de bienfaisance de dénonciation que j'ai fondé et dans lequel M. Hutton est venu faire du bénévolat, j'ai rédigé des normes pour une bonne loi, en adaptant les travaux de M. Devine. M. Hutton vous en a parlé en partie, mais je n'avais jamais prévu qu'une telle vengeance serait exercée contre des lanceurs d'alerte canadiens, rendant ces normes problématiques.
Au Canada, la liberté d'expression et l'application régulière de la loi, des éléments fondamentaux pour tout dénonciateur, sont entravées. L'ancienne juge en chef Beverley McLachlin l'a exprimé ainsi: « [...] nous, Canadiens, acceptons davantage que les Américains les limites imposées par l'État à la liberté d'expression. La même observation pourrait être faite à propos d'autres droits fondamentaux. » Elle poursuit en disant ceci: « [...]la démarche canadienne est plus nuancée que celle des États-Unis en ce qui concerne l'application régulière de la loi » et « [n]ous nous accommodons parfaitement bien de l'ambiguïté. »
L'actuel juge en chef, M. Wagner, a porté le coup fatal avec une mise en garde qu'il a faite de manière éloquente en citant Balzac: « Les lois sont des toiles d'araignées à travers lesquelles passent les grandes mouches et où restent les petites ». Fondamentales pour la culture, ces déclarations faisant autorité sont inquiétantes, d'autant plus que le lanceur d'alerte est toujours la petite mouche.
Vous avez demandé à plusieurs reprises ce que ce comité devrait faire. Premièrement, assumer la responsabilité de la crise. Depuis trop longtemps, les Canadiens ordinaires font le travail du Parlement.
Deuxièmement, s'engager à signer une déclaration publique exempte d'ambiguïté affirmant que les dénonciateurs ont pleinement le droit de s'exprimer librement, et l'intégrer dans le projet de loi .
Troisièmement, signaler et éliminer les nuances des procédures régulières actuellement utilisées par notre gouvernement, nos cours et nos tribunaux pour supprimer les droits de la personne des lanceurs d'alerte.
Le Comité a évoqué l'importance de la bonne foi. Veuillez faire preuve de bonne foi. Adoptez le projet de loi , non pas comme une fin, mais comme le début d'une culture saine de vérité.
Merci beaucoup.
M. Sean Bruyea: Merci.
Mme Stephanie Kusie: J'ai pensé que c'était peut-être lui, et je crois que c'est très bien qu'il soit là pour vous soutenir aujourd'hui, compte tenu de tout ce qu'il a dû vous voir endurer.
Docteure Brill-Edwards, je voudrais seulement vous raconter une petite anecdote. Mme Gualtieri sait que je le fais. J'ai passé l'été 2000 chez Merck Pharmaceuticals à Whitehouse Station — l'été entre mes deux années de maîtrise en administration des affaires — et c'était à l'époque où le Vioxx faisait fureur. Je me souviens d'avoir vu le service de marketing. Ce médicament suscitait l'engouement de tout le monde. Voilà que la chute allait commencer lorsque des éléments de fait ont été rendus publics et que l'Amérique et le monde ont pris conscience des répercussions.
Madame Gualtieri, je sais que vous en avez parlé, alors je dis simplement que j'ai vu ce que vous décrivez.
Madame Myers, j'aime toujours les études comparatives. Vous avez donné l'exemple de l'Union européenne. Si je devais mener une étude comparative sur laquelle nous pourrions baser nos nouvelles mesures de protection des dénonciateurs, pourriez-vous me fournir les meilleures ressources internationales en la matière? Vous avez mentionné l'Union européenne, mais si vous pouviez me fournir une courte liste, une liste exhaustive...
Bon nombre des principes que Tom Devine a présentés et dont j'ai parlé — les cinq que j'ai mentionnés — figurent dans la directive de l'Union européenne. Cela signifie que les 27 États membres devront transposer la directive dans leurs systèmes nationaux. Il sera possible de soulever des questions à l'interne. Si l'on travaille au sein du gouvernement, c'est évidemment au sein du gouvernement ou à un organisme ministériel, mais on peut également être protégé même si l'on rend l'information publique dans certaines circonstances. L'ensemble des divulgations protégées se retrouveront dans toutes ces lois. Les lois qui contiennent déjà de telles dispositions sont la Public Interest Disclosure Act du Royaume-Uni et la Protected Disclosures Act de l'Irlande. La Serbie, qui ne fait même pas partie de l'Union européenne, a agi en ce sens, et la France dispose désormais de l'une des lois les plus avancées.
Il y a de nombreuses années, bon nombre d'entre nous se sont fait dire que la dénonciation était très anglo-saxonne, qu'elle cadrait vraiment avec la common law, qu'elle ne ferait jamais partie du système français. Or, aujourd'hui, la France dispose de l'une des lois les plus vastes. Elle protège en fait les gens qui aident les dénonciateurs à faire leurs révélations, et il peut s'agir d'une personne juridique. À l'instar des organisations pour lesquelles Tom Devine travaille, de nombreux membres du Whistleblowing International Network que je dirige seraient protégés s'ils soutenaient un lanceur d'alerte et qu'on les attaquait eux aussi. Cela peut se faire dans le cadre du droit pénal et du droit civil pour diffamation, ou par d'autres formes d'attaques en utilisant les systèmes juridiques.
Il s'agit de lois très complètes. Je serai très heureuse de dresser une liste de certains de ces éléments, des cas où cela existait déjà et de ce que la directive européenne changera.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
J'aimerais remercier tous les témoins qui sont avec nous aujourd'hui.
Malheureusement, compte tenu du temps que nous avons, je ne pourrai poser que quelques questions. J'aimerais commencer par Mme Myers.
[Traduction]
Madame Myers, vous avez indiqué que le modèle européen serait probablement le meilleur modèle à utiliser à l'avenir pour la protection des divulgateurs d'actes répréhensibles de la fonction publique. Je pense que c'est une question que nous devrions examiner très attentivement.
Avant de poser ma question, j'aimerais donner un aperçu de la situation. Bien entendu, nous comprenons que le projet de loi est un projet de loi d'initiative parlementaire. Il a donc une portée limitée pour ce qui est de changer la culture de la façon dont parlait M. Devine. Pour y arriver, il faudrait d'autres éléments qui devraient venir d'un projet de loi émanant du gouvernement. Je sais que le gouvernement envisage de mettre à jour la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles.
Madame Myers, le projet de loi , dont nous sommes saisis, prévoit la possibilité d'éliminer les références à la « bonne foi » et aux « motifs raisonnables » dans les articles de la Loi qui concernent l'examen. La semaine dernière, j'ai posé à l'un de nos témoins la même question que j'aimerais vous poser maintenant. Si on éliminait ces éléments, et s'il n'est pas nécessaire que le divulgateur d'actes répréhensibles ait des motifs raisonnables de croire que ce qu'il signale est vrai, n'est‑il pas possible que cela mène à des divulgations frivoles et peut-être intentionnellement malveillantes? Avez-vous observé cela dans d'autres instances?
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Non, et j'aimerais expliquer ma réponse.
Au Royaume-Uni, ce critère a été éliminé. En effet, le critère de la « bonne foi » a été retiré de la Public Interest Disclosure Act, c'est‑à‑dire la loi sur la divulgation dans l'intérêt public de ce pays. C'est un exemple très concret.
Ce qui s'est passé, c'est qu'il est devenu très difficile de franchir la première étape d'une procédure judiciaire. En effet, on en était venu à considérer que les motifs du divulgateur constituaient l'objet du procès. Bien souvent, on se demandait si le divulgateur s'était comporté de manière raisonnable, sans demander… En gros, au Royaume-Uni, on démontre qu'on a soulevé une question d'intérêt public et on indique la nature du comportement répréhensible. Le fardeau de la preuve se déplace alors… Le comportement répréhensible, les représailles sont contre eux. Puisqu'on a établi une preuve prima facie, il revient maintenant à l'employeur de réfuter… Il doit démontrer que toutes représailles qui ont eu lieu étaient en réalité justifiées — de façon indépendante — et n'avaient rien à voir avec la divulgation.
Si l'on impose ce seuil pour avoir une discussion… Il y en a assez sur les lieux de travail. La plupart des gens souhaitent soulever les problèmes à l'interne. Si vous réfléchissez à votre propre situation, vous ne pensez pas que vous iriez immédiatement voir un administrateur-cadre ou un administrateur non-cadre dans le contexte de votre emploi, ou que vous auriez immédiatement communiqué avec un organisme de réglementation. La loi tente de protéger la personne qui a souffert pour avoir soulevé un problème. L'élimination de la notion de « bonne foi » ne permet pas soudainement à tout le monde de s'exprimer et de le faire avec des motifs douteux.
Je pense que nous avons démontré à maintes reprises que la présence du critère de la « bonne foi » tend à concentrer tous les efforts des tribunaux et que les membres de l'autre partie peuvent en profiter pour mettre en doute les motifs du divulgateur avant même de passer à l'étape suivante.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
Madame Brill‑Edwards, monsieur Bruyea, madame Gualtieri et monsieur Devine, je vous remercie d'être avec nous aujourd'hui.
Madame Brill‑Edwards, je suis désolée d'apprendre que certaines options de carrière sont devenues inaccessibles pour vous en raison de votre honnêteté. Cela ne devrait jamais arriver.
Monsieur Bruyea, vous avez vécu l'enfer, et je pense que même Satan ne voudrait pas vivre ce que vous avez vécu. Je suis désolée. Encore une fois, cela ne devrait jamais arriver.
Monsieur Devine, vous avez dit que la priorité absolue était de renverser le fardeau de la preuve. Pourquoi est-ce si important?
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Merci beaucoup de votre question.
[Traduction]
Je suis arrivé à une norme pour laquelle je pensais… N'étant pas très au fait de la loi, je me suis rendu compte que jusqu'à présent, seuls les fonctionnaires pouvaient être considérés comme étant des divulgateurs. Cela s'explique par le fait qu'ils répondent à deux critères, à savoir qu'ils ont des connaissances dans le cadre de leur travail et qu'ils risquent de perdre leur emploi et de subir d'autres répercussions liées au travail.
Le projet de loi fait un excellent travail en abordant ces deux notions et en les appliquant également aux entrepreneurs qui ont à la fois des connaissances privilégiées et une certaine vulnérabilité, ainsi qu'aux anciens fonctionnaires, aux anciens membres de la GRC et aux travailleurs temporaires.
Dans ce contexte, si nous utilisons le critère de la vulnérabilité, les anciens combattants sont les plus vulnérables de toutes les personnes qui reçoivent un service du gouvernement fédéral, car ils dépendent souvent entièrement du ministère des Anciens Combattants. Si quelqu'un, à quelque niveau que ce soit, décidait d'exercer une vengeance contre un ancien combattant, il mettrait en péril la sécurité financière, les soins médicaux et souvent la stabilité de la famille et du foyer de cet ancien combattant.
Je remercie tous les témoins de leurs témoignages.
Tout d'abord, je tiens à remercier M. Bruyea et Dre Brill-Edwards pour les services qu'ils ont rendus au Canada et pour nous avoir raconté leurs histoires déchirantes. C'est douloureux de les entendre. Je suis vraiment désolé d'entendre ce que vous avez vécu. Je tiens à le souligner et à vous remercier de votre courage.
Tous les témoins qui comparaissent aujourd'hui le font pour que justice soit faite, non seulement pour ce qu'ils ont vécu, mais aussi pour les personnes qui travaillent dans la fonction publique et pour l'avenir de notre pays. Je leur en suis reconnaissant.
Monsieur Bruyea, pourriez-vous expliquer pourquoi vous recommandez que les membres actifs des Forces armées canadiennes qui reçoivent des prestations d'Anciens Combattants Canada soient couverts par cette loi? Veuillez approfondir les raisons que vous avez données dans votre témoignage.
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Certainement. Je vous remercie, monsieur Johns.
Les membres actifs des Forces armées canadiennes ont également le droit de recevoir des prestations d'Anciens Combattants Canada. Le problème, c'est que le processus d'examen interne mis en place par les Forces armées canadiennes comporte un chef du Service d'examen. Ce dernier signale les incidents liés à des actes répréhensibles aux échelons supérieurs de la chaîne de commandement. Il s'agit d'une structure très hiérarchique, plus que dans la fonction publique.
Le problème, c'est que si un membre des Forces armées canadiennes souhaite signaler quelque chose qui concerne Anciens Combattants Canada, les Forces armées canadiennes ne sont pas habilitées à traiter les questions relatives à ce ministère. Ces questions ne seraient pas non plus traitées avec beaucoup de bonne foi, compte tenu de la stigmatisation dont l'invalidité fait l'objet au sein des Forces armées canadiennes.
Je pense qu'il est important que les membres actifs puissent séparer leur vie personnelle, où ils peuvent souffrir d'une invalidité, de leur vie professionnelle, où ils peuvent être témoins d'actes répréhensibles dans le cadre des opérations des Forces armées canadiennes.
J'espère avoir répondu à la question.
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Oui. J'ai d'ailleurs raconté une anecdote à ce sujet plus tôt.
La Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles ne semble pas comprendre la notion même de culture au sein d'une organisation. J'aimerais que les membres du Comité qui appartiennent aux différents partis se demandent dans quelle mesure ils seraient prêts à aller à l'encontre de leur parti pour critiquer quelque chose qui se passe au sein du parti.
Je dirais que la loyauté au sein de la fonction publique est encore plus prononcée dans la mesure où la plupart des fonctionnaires ont leur travail vraiment à cœur. Pourtant, la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles utilise des expressions comme « de bonne foi » et des définitions de nombreux autres mots que j'appelle des « mots ambigus ». Ce sont des mots qui sont ouverts à l'interprétation, et cette interprétation est contrôlée par le gouvernement.
Dans un sens, le fait qu'une grande partie de l'interprétation de la Loi ne relève pas du pouvoir des tribunaux est une caractéristique très neutralisante. L'interprétation ne relève certainement pas non plus du pouvoir des divulgateurs. Il s'agit d'un système accusatoire qui ne les considère pas de bonne foi. Je pense que, dans ce sens, nous avons affaire à un malentendu culturel sur la difficulté d'être un divulgateur.
Il s'ensuit que lorsqu'on envisage de supprimer les mots « de bonne foi » de l'article pour les remplacer par un autre fardeau de la preuve… Je dirais que l'on en a assez fait contre les divulgateurs. Je pense que nous devrions simplement éliminer les mots « de bonne foi » sans essayer de les remplacer par autre chose.
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Oui. Je vais faire parvenir quelques exemples au Comité, mais je peux dire que la directive de l'Union européenne prévoit des sanctions notamment pour les manquements à l'obligation de confidentialité. Si une personne soulève une préoccupation sous le sceau de la confidence, il y a des garanties... des sanctions sont prévues.
Il y a eu des cas au Royaume-Uni, notamment, car le secteur privé est également visé, mais je crois qu'il existe des exemples dans les deux secteurs. Au sein d'une organisation, une sanction a été imposée à un individu qui a tenté de découvrir l'identité de la personne. L'organisation — il s'agissait d'une banque — a aussi fait l'objet d'une sanction, et l'individu qui a tenté de découvrir l'identité de la personne qui avait soulevé une préoccupation a miné le système de dénonciation, même si tout avait été fait correctement. L'organisme de réglementation a alors expliqué que ce n'est pas une chose à faire, car cela mine le système, qui fonctionne bien jusqu'à ce qu'un individu cherche à savoir qui a soulevé une préoccupation. C'est ce qui a principalement été mis en évidence.
Par ailleurs, en Australie, je pense qu'une obligation de diligence est en train d'être imposée à certaines organisations, pour éviter qu'elles ne laissent tomber un dénonciateur et pour s'assurer que le système fonctionne correctement, que les responsables sont bien formés et que rien ne cloche.
Il existe de bons exemples. Je le répète, le Canada a l'occasion d'ajouter du mordant à la loi, et j'estime que c'est très important. Il faut s'assurer que l'information puisse circuler.
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Merci beaucoup, monsieur le président.
À l'instar de mes collègues, je vous souhaite tous la bienvenue. Vos témoignages en tant qu'experts réputés nous ont ouvert les yeux et sont très utiles, tout comme les témoignages des dénonciateurs, qui sont troublants et très convaincants.
J'aimerais d'abord vous remercier, monsieur Bruyea, au nom de mes collègues d'avoir servi notre pays et de comparaître aujourd'hui devant le Comité.
En ce qui a trait aux mesures proposées pour mieux protéger les dénonciateurs, le Commissariat à l'intégrité du secteur public suscite des préoccupations, et c'est sans doute un élément clé pour régler le problème. Certains témoins ont fait valoir que cette entité a été entachée par des conflits d'intérêts, souvent parce que les personnes recrutées au sein de cet organisme et pour occuper le poste de commissaire proviennent elles-mêmes de la fonction publique.
Je me demande, monsieur Bruyea, si vous avez déjà eu recours aux services du Commissariat à l'intégrité du secteur public, et, le cas échéant, si vous pouvez nous faire part de votre expérience.
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Oui, bien sûr. J'y ai eu recours en 2010, lorsque la nouvelle a éclaté, non seulement à propos de mon histoire, mais aussi bien sûr, au sujet du fait que Mme Ouimet — la première commissaire à l'intégrité du secteur public controversée — n'avait pas du tout pris en considération mon dossier. Moi-même et d'autres personnes avons dû nous adresser aux médias. C'est devenu en quelque sorte une cause célèbre concernant un cas évident d'actes répréhensibles. Pourquoi rien n'a‑t‑il été fait?
Plus tard, j'ai rencontré M. Dion et certains des membres de son personnel. Je me souviens que j'étais assis seul dans une salle avec une avocate. Elle m'avait pris à part. J'avais tendance à enregistrer les propos, car la situation avait tellement dérapé au cours des cinq années précédentes que j'enregistrais tous mes échanges avec des fonctionnaires. Cette fois‑là, j'avais oublié mon magnétophone. Elle m'a fait entrer dans le bureau — elle était très amicale — puis elle a fermé la porte. Son attitude a changé du tout au tout. Elle m'a demandé pourquoi je voulais en obtenir davantage. Elle m'a dit que j'en avais eu suffisamment et que j'avais bénéficié d'une grande couverture médiatique. Elle voulait savoir pourquoi je voulais en obtenir davantage du commissariat. J'étais absolument estomaqué de voir qu'elle pensait sincèrement que j'avais dénoncé les actes répréhensibles pour obtenir de l'attention, alors que je l'ai fait non pas pour moi-même, mais simplement pour aider les autres après moi qui seraient traités de la même façon.
Je me suis prévalu du montant offert pour les services juridiques, à savoir 3 000 $. Il a fallu verser près de 1 000 $ pour justifier la facture, alors, mon avocat a fini par obtenir environ 2 000 $. C'est une somme complètement inadéquate. Je sais que cela ne relève pas du Comité ni du projet de loi d'initiative parlementaire.
J'ajouterais que David Hutton et moi-même avons siégé au comité consultatif de M. Dion. Son travail était loin d'être remarquable. Pourquoi aurait‑il fait un travail remarquable, étant donné qu'il ne faisait qu'attendre son prochain poste? Il a décidé de parler lorsqu'il occupait ce qui était probablement son dernier poste. C'est ce qui se produit lorsqu'on nomme des fonctionnaires, car ils dépendent du Bureau du Conseil privé et de la bonne volonté du gouvernement pour obtenir leur prochaine nomination. J'ose espérer qu'on envisagera dans l'avenir de mettre en place un processus de nomination de personnes neutres et non partisanes, qui ne sont pas choisies par le Bureau du Conseil privé ou le Cabinet du premier ministre.
Merci.
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Je peux répondre à cette question.
Aux États-Unis, l'organisme fédéral de protection des dénonciateurs est l'Office of Special Counsel. Son histoire est marquée par des hauts et des bas.
Pendant longtemps, les dénonciateurs dans notre pays ont eu la même perception que vous avez à l'égard du commissaire à l'intégrité. Nous devions conseiller aux gens de ne pas communiquer leurs preuves à cet office, car elles étaient transmises immédiatement aux organisations, qui exerçaient des représailles contre eux. Ils étaient la cible d'intimidateurs. Aucune mesure n'était prise à l'égard des actes dénoncés.
Nous nous sommes battus en faveur de l'intégrité de cet office. La Whistleblower Protection Act lui enlevait le pouvoir de prendre des mesures qui mineraient les intérêts de ceux qui demandaient de l'aide. Il ne pouvait sans doute pas aider tout le monde, mais il ne pourrait pas se retourner contre les dénonciateurs et empirer les choses.
Nous avons accordé le droit aux dénonciateurs de participer au processus d'examen des actes qu'ils ont dénoncés, car un commissaire à l'intégrité du secteur public ne peut pas le faire seul. Il est impossible qu'il possède une expertise sur toutes les activités dans le cadre desquelles il peut y avoir un abus de pouvoir. Il doit faire équipe avec un dénonciateur. Nous avons officialisé cela dans la loi.
Ce n'est pas une panacée, mais je donnerais à l'Office of Special Counsel la note de B ou B‑ actuellement. C'est beaucoup mieux qu'auparavant.
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Eh bien, si nous avons tous la chance de répondre, je vais y aller en premier.
Pour le déterminer, il faut lire dans les pensées. C'est la raison pour laquelle c'est une inconnue. On s'expose grandement à des jugements subjectifs. Il faut des normes objectives en ce qui a trait à ces droits. Déterminer la bonne foi donne lieu à des jugements subjectifs.
Honnêtement, je dois dire que les dénonciateurs exposent la vérité à propos d'abus de pouvoir qui trahissent la confiance du public. Est‑ce que la raison pour laquelle ils exposent la vérité est vraiment importante? Ils sont des témoins aux fins de l'intérêt public.
Aux États-Unis, certains des témoins les plus importants de l'histoire étaient des tueurs à gages de la mafia. Ils ne témoignaient pas et n'exposaient pas des crimes à cause de leurs valeurs. Ils le faisaient par intérêt personnel, mais comme leurs témoignages étaient essentiels, on protégeait leur vie, peu importe si on estimait ou non qu'ils étaient de bonne foi.
L'objectif principal des préoccupations que j'ai exprimées est justement de faire comprendre au Comité la nature de la fonction publique et les nombreuses contraintes que subissent les fonctionnaires dans le cadre de leur travail au quotidien.
Ce qu'il faut vraiment comprendre, c'est que, sans sanctions législatives pour les représailles, les dénonciateurs sont à risque dans un système qui, de façon générale, exige la loyauté et l'adhésion au grand objectif et à la quête globale de la fonction publique, qui sont de servir le gouvernement. Cela fait partie de notre démocratie.
Les choses dérapent lorsque des personnes au sein de ce système entreprennent des actions ou prennent des décisions qui vont à l'encontre de l'intérêt public. Mme Gualtieri en a parlé. Si tout le monde se sent obligé de suivre les décisions qui sont prises et qu'une personne s'élève contre une décision qui est mauvaise ou discutable et qui met la vie des gens en danger — par exemple dans le cas de médicaments — et, si des pressions sont exercées pour dissuader la dénonciation et qu'il est clair qu'il y aura des représailles, alors on ne peut pas s'attendre à ce que les gens fassent la bonne chose et dénonce une situation.
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Merci, monsieur le président. Je tiens également à remercier tous nos témoins de s'être joints à nous aujourd'hui.
Docteure Brill‑Edwards, monsieur Bruyea, je vous remercie pour les services que vous avez rendus, pour votre courage, ainsi que pour vos efforts inlassables pour défendre cette cause.
Je souhaite revenir sur un point soulevé par M. Johns à propos de la culture organisationnelle, car il me revient des termes comme « vieilles connaissances », « bons vieux garçons », et des expressions souvent entendues comme « c'est ainsi qu'on fait les choses ici » et « on se protège entre nous.»
Pouvez-vous nous expliquer comment favoriser l'émergence d'une culture organisationnelle plus saine? Il semble que les problèmes que nous avons évoqués durent depuis très, très longtemps.
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Je tiens tout d'abord à souligner l'importance de ce que vous faites ici aujourd'hui, à savoir tenir les organisations responsables des individus qui exploitent les bonnes intentions des employés qui travaillent pour elles. Les Canadiens qui travaillent au sein de la fonction publique et au Parlement croient réellement qu'ils agissent pour le bien commun.
Cela nous ramène à l'autre aspect de la culture. À quoi ou à qui ces employés sont-ils fidèles? À leur patron, à leur organisation, ou à leur pays? Nous devons examiner les filtres existants qui incitent ou dissuadent les employés à bien faire leur travail.
Par exemple, je passe beaucoup de temps à analyser la rhétorique des responsables du ministère des Anciens Combattants. Ils disent qu'ils se soucient réellement des anciens combattants. Il ne fait aucun doute qu'ils y croient, mais il y a tellement de filtres. Tout d'abord, ils doivent répondre à des exigences budgétaires. Ensuite, ils doivent répondre aux exigences du Conseil du Trésor en matière de rapports sur tout ce qui se passe au sein du ministère. Ensuite, il y a la hiérarchie de la structure, et des dirigeants qui ne prennent pas l'initiative de s'occuper des besoins des anciens combattants. Ils s'en préoccupent peut-être, mais ils accordent la priorité à tous les autres filtres. Lorsque vient finalement le temps de penser aux anciens combattants, ils ne s'en préoccupent plus.
Ce que nous devons faire dans n'importe quelle culture organisationnelle, c'est mettre à l'avant-plan la loyauté envers une cause, un principe. Les principes du Conseil du Trésor ne doivent pas être rédigés de manière à satisfaire une demande unique du Conseil du Trésor; ils doivent être énoncés de manière à satisfaire les demandes du pays, de la population, des citoyens. Nous devons commencer à évaluer ces filtres et à les modifier lorsqu'ils ne répondent pas aux principes que nous avons mis en place et auxquels nous tenons.
Cela répond‑il à votre question...?
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Les lois américaines qui régissent le travail des entrepreneurs sont liées au financement fédéral, mais elles constituent l'aspect le plus important de la politique publique sur la protection des dénonciateurs.
Je prendrai l'exemple de la fraude. En 1986, nous avons chargé les dénonciateurs d'intenter des actions en justice contre les fraudeurs dans les contrats publics. Auparavant, le ministère de la Justice de notre pays, agissant seul, récupérait en moyenne 10 millions de dollars par an au titre des fraudes civiles. Depuis, la moyenne est passée à 1,5 milliard de dollars. Au cours des cinq dernières années, ce montant a dépassé les 3 milliards de dollars. Un cas a même rapporté 5 milliards de dollars.
Les contrats frauduleux passés avec le gouvernement alimentent la corruption à l'échelle mondiale, et c'est donc à ce crime que s'attaque une loi sur les dénonciateurs.
Je n'ai pas l'expertise nécessaire pour vous expliquer la distinction entre les entrepreneurs ayant des contrats avec le gouvernement fédéral versus les entrepreneurs régis par le gouvernement provincial, mais je sais qu'effectuer le lien avec des contractants fédéraux apportera des avantages très significatifs.