:
Je déclare la séance ouverte. Conformément au paragraphe 108(2) du Règlement, le Comité poursuit son étude sur les efforts de l'Agence du revenu du Canada visant à combattre l'évitement fiscal et l'évasion fiscale.
Nous accueillons aujourd'hui plusieurs témoins. Je vais tout d'abord vous les présenter, et ensuite j'aurai des choses à dire.
Nous avons avec nous M. Arthur Cockfield, professeur à la Faculté de droit de l'Université Queen's, ainsi que M. André Lareau, professeur de la Faculté de droit de l'Université Laval, qui témoignent tous deux à titre personnel. Nous accueillons aussi M. Dennis Howlett, directeur exécutif de Canadiens pour une fiscalité équitable, ainsi que M. Scott Chamberlain, avocat général de l'Association canadienne des agents financiers. Enfin, nous recevons Mme Joy Thomas, présidente et chef de la direction de Comptables professionnels agréés du Canada.
Bienvenue à tous nos témoins. Nous allons entendre vos déclarations dans quelques instants.
Vous vous demandez probablement pourquoi nous avons commencé la séance à huis clos. Sachez que la séance d'aujourd'hui suscite une grande controverse et de nombreuses préoccupations quant au risque que des questions ou des déclarations de la part des députés ou des témoins aient une incidence sur les causes en instance.
Comme vous le savez probablement tous, il y a une convention relative aux affaires en instance. Je vais vous en citer un extrait:
Au cours d'un débat, des restrictions sont imposées à la liberté de parole des députés pour leur interdire de faire allusion à des affaires en instance, afin d'éviter de porter préjudice aux parties à l'instance. En s'auto-limitant ainsi, la Chambre reconnaît qu'il ne lui appartient pas de juger des affaires individuelles, ce rôle revenant aux tribunaux...
La convention relative aux affaires en instance est avant tout un exercice de restrictions que la Chambre s'impose volontairement pour protéger un accusé ou une autre partie à des poursuites en justice ou à une enquête judiciaire de tout effet préjudiciable découlant d'une discussion publique de la question. La convention existe également, comme le faisait observer le Président Fraser, pour « maintenir la séparation et la bonne entente entre le législatif et le judiciaire ». Ainsi, la Chambre connaît l'indépendance constitutionnelle du pouvoir judiciaire.
Je pense que tous les témoins ici savent qu'il y a deux affaires en instance, tout d'abord une devant la Cour canadienne de l'impôt, sur la question de savoir si la planification fiscale en question respecte la Loi de l'impôt sur le revenu, et une autre devant la Cour fédérale du Canada, sur la question de savoir si KPMG est tenue de communiquer les noms de ses clients liés à cette planification fiscale.
Nous nous sommes donc réunis à huis clos pour décider si nous devrions siéger à huis clos ou en public, étant donné que notre discussion pourrait avoir un effet préjudiciable. Le Comité a finalement décidé de tenir une séance publique.
Cela présente toutefois des risques. Pour éviter que des remarques préjudiciables puissent nuire au procès en cours, la présidence fera preuve d'une grande rigueur. Si j'estime qu'un témoin ou un député s'engage dans une voie susceptible d'avoir une incidence sur les affaires en instance, plutôt que de parler de façon générale de la lutte contre l'évasion et l'évitement fiscaux, je vais demander qu'on éteigne son micro, puis nous passerons à la prochaine question.
En gardant ces règles à l'esprit, je prierais les témoins et les députés de ne pas dire quoi que ce soit qui pourrait porter préjudice aux parties à l'instance.
Cela dit, je cède maintenant la parole à nos témoins.
Monsieur Cockfield.
:
Monsieur le président, mesdames et messieurs, bonjour.
[Traduction]
Je vous remercie encore une fois de m'avoir invité à comparaître devant le Comité. Même si j'ai déjà eu l'occasion de témoigner par le passé, j'ai cru bon de me présenter aux membres du Comité, étant donné que seul
[Français]
M. Caron siège encore au sein de ce comité.
[Traduction]
Je détiens des diplômes en finances et en comptabilité de l'Ivey Business School de l'Université Western, ainsi que de la Faculté de droit de l'Université Queen's; et je suis titulaire d'une maîtrise et d’un doctorat de l'Université Stanford, principalement dans le domaine du droit fiscal international. Je suis l'auteur de 12 livres et de plus de 50 articles universitaires publiés dans les plus grandes revues fiscales au monde. J'ai été conseiller juridique auprès de l'OCDE, du ministère de la Justice, du Bureau du procureur général du Canada, du ministère des Finances et du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada. Mon plus récent article, qui est pertinent dans le contexte de l'étude du Comité, s'intitule: « Big Data and Tax Haven Secrecy » et est paru il y a deux mois dans Florida Tax Review. Il porte sur la première analyse de la plus importante fuite de données à ce jour réalisée par le Consortium international des journalistes d’enquête et rendue publique en 2013. En fait, un an et demi plus tôt, j'avais été embauché par Radio-Canada pour aider les journalistes à comprendre cette brèche, et j'ai ensuite publié les résultats de mes recherches.
Cela dit, je vais commencer mon exposé sur une note positive en disant qu'au cours des trois dernières années, en commençant par le gouvernement Harper, suivi du gouvernement Trudeau, nous avons constaté des progrès dans ce domaine. Parmi les mesures favorables, mentionnons les lois relatives aux dénonciateurs, l'intégration des avocats fiscalistes à l'ARC, le rétablissement de l'unité des enquêtes criminelles — c'était essentiel — et l'affectation de ressources supplémentaires à la vérification.
À l'avenir, je recommanderais notamment au Comité d'exiger un engagement continu de la part des cadres supérieurs de l'ARC; ils doivent s'attaquer au quotidien au problème de l'évasion fiscale à l'étranger. Je considère que la coordination entre les organismes fédéraux — CANAFE, l'ARC, Justice Canada et ainsi de suite — pourrait être améliorée. Il faut modifier les mesures incitatives des procureurs de la Couronne. Lorsque cela est justifié, j'aimerais qu'on impose davantage de sanctions aux professionnels, aux comptables et aux avocats qui ont fait preuve d'aveuglement volontaire ou qui ont délibérément donné des conseils fiscaux irresponsables à leurs clients.
Par le passé, j'ai recommandé les déclarations consolidées pour les sociétés multinationales. On a adopté une mesure semblable, en exigeant notamment la déclaration pays par pays. J'ai quelques recommandations techniques à cet égard, mais je vais n'en mentionner qu'une seule aujourd'hui. Plus précisément, lors d'une rencontre récente avec CANAFE, j'ai appris que nous avions des déclarations d’opérations douteuses qui suscitent l'intérêt de CANAFE, mais surtout, qu'il n'y a aucune loi qui justifie un rapport d'activité suspecte permettant à un représentant bancaire de signaler une activité. Les procureurs des États-Unis et d'ailleurs ont compté sur ces mesures pour démasquer les fraudeurs fiscaux.
Voilà pour mes observations. Merci.
[Français]
Bonjour, je m'appelle André Lareau. Je suis professeur de droit fiscal à l'Université Laval. J'ai été doyen de cette faculté. J'ai obtenu mon baccalauréat en droit à l'Université de Sherbrooke, une maîtrise à la Osgoode Hall Law School et une maîtrise en droit fiscal américain à la University of Miami School of Law. J'ai également accompagné Radio-Canada à l'Île de Man pour l'enquête qui a eu lieu l'année dernière.
Les lois fiscales sont complexes et la Loi de l'impôt sur le revenu est bien différente de ce qu'elle était il y a plusieurs années. Pourquoi est-elle si volumineuse? C'est à cause de la complexité qui est devenue nécessaire à cause d'agissements proposés par des spécialistes de la fiscalité, qui trouvent une façon de créer des stratégies pour contourner les mesures qui en exigeront de nouvelles pour contrer les dispositions mises en place par les spécialistes de la fiscalité.
En 1985, l'arrêt dans la cause Stubart nous a indiqué que le ministère du Revenu national, qui est aujourd'hui l'Agence du revenu du Canada, ne peut pas s'attaquer à une transaction faite uniquement pour des fins fiscales lorsque ladite transaction respecte, par ailleurs, les autres directives de la loi.
À cet égard, la disposition générale anti-évitement a été créée en 1988. Il s'agit de l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu. On comprend que c'est une disposition générale anti-évitement et non anti-évasion.
Puisqu'on m'a demandé de venir ici pour parler de KPMG à l'Île de Man, je vous soumettrai bien humblement que la stratégie mise en place par KPMG ne cadre pas...
:
Monsieur le président, on m'a invité à venir parler de KPMG, mais je vais faire des observations plus générales.
Si un cabinet d'experts-comptables ou de fiscalistes crée un stratagème consistant à ce qu'une somme d'argent soit détenue par une société à l'étranger, alors que cette somme provient d'un donateur du Canada et qu'elle revient au Canada par la suite, ce n'est pas visé par la disposition générale anti-évitement.
[Français]
Ce n'est pas un montant qui est visé par la règle générale anti-évitement. Pourquoi? Parce qu'il ne s'agit pas d'évitement fiscal, mais bien d'évasion fiscale. Qu'on ne tente pas de voir ici de l'évitement et qu'on ne tente pas de voir ici une application de l'article 245 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Ce n'est pas inclus à cet égard.
Nous parlons ici d'évasion fiscale. Nous parlons ici d'une situation où l'on tente de couvrir des transferts d'argent en indiquant que ce sont des dons, alors que, de toute évidence, ce n'en sont pas.
Qu'est-ce qu'un don? Un don, c'est le dessaisissement d'une somme sans que rien ne soit attendu en contrepartie. À partir du moment où quelque chose est attendu en contrepartie, à partir du moment où les sommes reviennent à leur propriétaire ou à sa famille immédiate ou à des gens qui ont un lien de dépendance avec lui, c'est une somme qui est reçue. Ce n'est donc pas un don.
Une stratégie fiscale, pour être valide, doit respecter les dogmes de la loi. Dans le cas présent, bien sûr, la stratégie fiscale ne respecterait ni la lettre, ni l'esprit de la loi.
Par ailleurs, j'inviterais la à être très prudente dans toutes les circonstances où l'on traitera de divulgation volontaire. Puisque la divulgation volontaire est régie par des règles purement administratives, j'inviterais la ministre du Revenu national à ne pas exercer sa discrétion dans le cas de sommes qui proviennent de l'étranger et qui, de toute évidence et dans certaines circonstances, peuvent être le fruit de fraudes à l'encontre de la loi. La discrétion administrative ne devrait donc pas être exercée à cet égard.
Par ailleurs, pour ce qui est des dossiers qui pourraient être en suspens à l'égard de sommes qui proviennent de l'Île de Man, j'inviterais aussi la à ne pas négocier d'arrangements, à ne pas conclure d'ententes, et ce, afin que les dossiers soient soumis au tribunal et qu'on obtienne le fin mot de l'histoire.
Finalement, je vous dirais que des stratégies fiscales mettant en lumière des dons ne s'arrêtent pas à celles que nous connaissons. Les stratégies fiscales mettant en lumière des dons peuvent être effectuées dans le cadre de gels d'actifs de sociétés canadiennes, alors que la plus-value de ces sociétés va à l'étranger et qu'elle revient sous forme de dons au bénéfice des donateurs. Tout le profit d'une société canadienne revient éventuellement sous forme de dons, et ceci est démontré dans la documentation qui vous a déjà été remise.
Je vous remercie.
Bref, c'est ce qui nous amène ici aujourd'hui, et je suis ravi de pouvoir aborder les questions qui ont été soulevées.
Nous savons que les gouvernements provinciaux et fédéraux perdent des milliards de dollars en recettes fiscales. Dans le mémoire que j'ai déposé auprès du Comité en 2013, j'estimais que le Canada perdait entre 5,3 et 7,8 milliards de dollars par année. Depuis ce temps, d'autres enquêteurs en sont arrivés à des conclusions semblables. Gabriel Zucman, pour sa part, a confirmé dans son récent livre, The Hidden Wealth of Nations, que 300 milliards de dollars, soit 9 % des richesses du Canada, se trouvaient dans des comptes à l'étranger. C'est beaucoup plus élevé qu'aux États-Unis. Aux États-Unis, on parle de 4 %; le Canada a donc un grave problème ici.
Les particuliers et les sociétés ne pourraient pas avoir recours à des paradis fiscaux pour cacher leurs richesses sans l'encouragement et l'aide de facilitateurs. Ces facilitateurs sont notamment les banques, les institutions financières, les entreprises de gestion de patrimoine, les cabinets d'avocats et les cabinets d'experts-comptables. Nous avons besoin de contrôles légiférés additionnels afin de réglementer ce secteur d'activité, et le gouvernement doit prendre des mesures beaucoup plus vigoureuses pour s'attaquer aux facilitateurs. Ce serait la meilleure façon d'y parvenir et, en fait, ce serait beaucoup plus efficace que d'embaucher des vérificateurs supplémentaires. Si on coupe les vivres aux facilitateurs, on résout la moitié du problème.
Je pense que certains employés de l'ARC sont très dévoués. Ils ont réussi, avec beaucoup de difficulté, à mettre au jour des cas très graves d'évasion fiscale possibles pour se rendre compte que, dans bien des cas et pour une raison qu'on ignore, la direction de l'ARC n'y pas donné suite. Nous avons réalisé une étude intitulée « Qu'est-ce qui ne va pas à l'ARC? ». J'ai d'ailleurs remis des exemplaires, en français et en anglais, à tous les membres du Comité. Cette étude repose sur des entretiens avec un certain nombre de vérificateurs de l'ARC. Manifestement, certains étaient d'avis qu'une ingérence politique pouvait expliquer pourquoi les affaires avaient été abandonnées alors que les arguments étaient convaincants. On se demande vraiment pourquoi la direction de l'ARC agit de la sorte. Pourquoi voudrait-elle se présenter devant un tribunal afin d'essayer d'obtenir le nom des clients, alors qu'elle pourrait demander un mandat de perquisition pour recueillir l'information nécessaire?
Nous continuons de réclamer une meilleure protection des dénonciateurs. Étant donné mon profil médiatique, beaucoup de gens se confient à moi. De nombreux dénonciateurs m'ont révélé des informations, et je collabore avec les médias et les autorités pour essayer de les aider à donner suite à ces affaires.
Le cas dont on ne doit pas parler n'est que la pointe de l'iceberg. Il y a des problèmes bien plus graves en jeu, et le gouvernement doit en faire beaucoup plus pour aller au fond des choses et s'attaquer à l'évasion fiscale et à la fraude liée à l'utilisation des paradis fiscaux.
Scott va maintenant enchaîner avec le reste de l'exposé.
Je voudrais attirer votre attention sur une lacune fondamentale de notre système fiscal qui ouvre la porte aux évitements fiscaux abusifs et qu'on pourrait facilement combler sans que ce secteur d'activité ait à compromettre la relation privilégiée entre le comptable et les clients — relation qui, soit dit en passant, est à la fois une mauvaise orientation pour le Comité et une fiction.
Nous en avons des exemples au Canada et aux États-Unis, et nous avons remis un document universitaire au Comité à ce sujet. Divers exemples y sont détaillés. J'aimerais attirer votre attention sur certaines affaires aux États-Unis, à partir de la page 19, où les « facilitateurs » — comme Dennis les a décrits — conçoivent, développent, vendent et commercialisent des produits fiscaux qui n'ont pas été approuvés par l'Agence du revenu du Canada, en plus d'obtenir des avis juridiques à leur sujet, d'en faire la promotion et d'en bénéficier.
Au début de ma carrière, j'ai travaillé comme avocat dans le domaine du droit du travail et de l'emploi. J'ai eu l'occasion de négocier des règlements de congédiement injuste. Vers la fin de 1999 et au début des années 2000, l'allocation de retraite et la déductibilité étaient des questions récurrentes. Au cours de ma première année en tant qu’avocat, j'ai pu écrire à l'ARC pour obtenir des explications sur une structure fiscale que nous envisagions pour minimiser l'impôt de nos clients qui avaient été congédiés injustement. Il s'agit d'une fonction bien connue et souvent utilisée à l'ARC. Tout avocat ou tout cabinet d'experts-comptables peut écrire à l'ARC afin d'obtenir un avis sur l'applicabilité des lois fiscales à un plan en particulier.
Ce que nous voyons, c'est une industrie qui n'a pas recours à cette fonction. Aux États-Unis, on a l'obligation, en vertu de la loi, d'enregistrer tous les produits fiscaux. Encore une fois, je porte à votre attention le même document qui parle de cette loi — et le comité sénatorial permanent américain a également produit un rapport là-dessus —, qui exige que tous les produits fiscaux soient enregistrés et approuvés avant d'être mis en pratique.
Essentiellement, Canadiens pour une fiscalité équitable estime qu'il est temps d'accorder la priorité à l'intérêt public. L'intérêt public doit désormais avoir préséance sur le secret et la confidentialité dans l'industrie fiscale.
Nous avons formulé quelques recommandations, que vous trouverez dans notre mémoire. Je vais les passer en revue rapidement.
Premièrement, nous sommes d'avis que le gouvernement devrait légiférer une obligation pour les avocats et les comptables, en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, de signaler les cas soupçonnés d'évitement et d'évasion fiscaux et d'enregistrer tous les produits fiscaux. Ce n'est pas nouveau. L'enregistrement des produits fiscaux se fait déjà aux États-Unis, et l'obligation de signaler les stratagèmes d’évasion fiscale et d’évitement fiscal agressif est déjà en place au Royaume-Uni en vertu de la Proceeds of Crime Act 2002. Tous les avocats et les comptables dans ce pays qui soupçonnent des stratagèmes d’évasion fiscale et d’évitement fiscal agressif sont tenus de le signaler à l'agence du revenu et de ne pas en informer le client. Autrement, ils encourent une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à 14 ans.
Pour ce qui est de l'enregistrement, cela pourrait être fait auprès de I'ARC ou d'un organisme indépendant de la Cour de l'impôt chargé de fournir une analyse proactive.
Deuxièmement, nous aimerions qu'on entreprenne une étude indépendante des enquêtes en matière d'évitement et d'évasion fiscaux amorcées par I'ARC afin d'établir le taux de sanctions imposées, d'intérêts appliqués, de règlements intervenus et de condamnations obtenues par montant d'impôt en litige. Selon des sondages récents, et même dans la presse d'hier, les Canadiens estiment qu'il y a des règles qui régissent les riches et des règles qui s'appliquent aux pauvres. Nous aimerions voir les enquêtes qui ont été menées et savoir combien d'entre elles ont abouti à des condamnations et s'il s'agissait de sommes importantes.
Troisièmement, nous aimerions que vous déposiez un projet de loi visant à mettre un frein à l'évitement fiscal des sociétés, qui viendrait compléter le projet de loi économique d'initiative parlementaire déjà déposé par le député Murray Rankin.
Quatrièmement, nous aimerions exiger une enquête criminelle dans les circonstances appropriées.
Cinquièmement, nous pensons que le Comité devrait exiger que le Commissariat aux conflits d'intérêts et à l'éthique du Canada enquête sur les pratiques d'accueil fort inhabituelles des cadres supérieurs de I'ARC.
Je suis un négociateur. Je négocie avec les fonctionnaires du Conseil du Trésor. Je négocie des contrats au quotidien. Je peux vous garantir que les négociateurs du Conseil du Trésor n'acceptent aucun café qui vient de moi. On peut se rencontrer, discuter, mais ils achètent leur café et j'achète le mien. On n'achète pas de café à des fonctionnaires. C'est une règle très claire.
Comme avant-dernière recommandation, nous aimerions que le gouvernement entreprenne le processus de révision législative, qui tarde depuis longtemps, de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d'actes répréhensibles. Il s'agit de la loi sur la protection des dénonciateurs qui s'applique au secteur public, et elle doit s'appliquer également au secteur privé, à l'instar d'autres pays du Commonwealth, comme la Nouvelle-Zélande.
Je siège au comité consultatif sur les divulgateurs dans le secteur public. Cet examen aurait dû avoir lieu il y a quatre ou cinq ans. Les dénonciateurs ont besoin d'une meilleure protection. Ils doivent être récompensés pour avoir fait la bonne chose. On doit les encourager à dénoncer des actes répréhensibles.
Enfin, nous encourageons le Comité à poursuivre ses travaux et à convoquer d'autres témoins, dont le divulgateur américain Michael Hamersley, et peut-être le professeur qui a rédigé l'article dont nous vous avons fait part aujourd'hui.
Je vous remercie du temps que vous nous avez accordé.
:
Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du Comité, bonjour. Je vous remercie d’avoir invité CPA Canada à participer à la réunion d’aujourd’hui.
Je m’appelle Joy Thomas et je suis comptable professionnelle agréée. Depuis le 1er avril 2016, je suis présidente et chef de la direction de CPA Canada.
CPA Canada est l’organisation nationale qui représente les quelque 200 000 CPA canadiens. Elle est notamment responsable de l’élaboration du programme de formation et des programmes de perfectionnement professionnel des CPA. Elle apporte aussi son soutien au processus de normalisation indépendant du Canada, qui est respecté à l’échelle internationale, et publie des lignes directrices pour favoriser l’excellence de l’information d’entreprise et des pratiques financières au pays et à l’étranger. Ce travail vise à servir l’intérêt public.
CPA Canada a été constituée en 2013 dans le cadre de l’unification des professions de comptable agréé, de comptable en management accrédité et de comptable général accrédité du Canada, dont la réglementation est de compétence provinciale. Dans un esprit de collaboration, nous avons créé une seule profession sous la bannière d’un titre unique, soit celui de comptable professionnel agréé.
Je me présente ici aujourd’hui dans le même esprit de collaboration.
Au pays comme à l’étranger, nous collaborons depuis longtemps de façon constructive avec les responsables des programmes et politiques qui constituent des outils économiques, sociaux et concurrentiels essentiels pour tous les gouvernements. Cette approche collaborative est vivement préconisée par l’OCDE à titre de « pratique exemplaire ». Cette collaboration est particulièrement importante pour faire en sorte que les politiques fiscales suivent l’évolution du monde des affaires.
À titre d’exemple de collaboration, citons notre participation à plusieurs initiatives et comités gouvernementaux, notamment le Groupe consultatif sur le régime canadien de fiscalité internationale; le Comité consultatif sur l’économie clandestine du ministre; l’Entente sur un cadre de travail entre l’Agence du revenu du Canada et les Comptables professionnels agréés du Canada, qui vise à aider le Canada à maintenir un régime fiscal de classe mondiale; le Comité consultatif public-privé du Régime de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes du ministère des Finances du Canada. Ce ne sont là que quelques exemples de collaboration entre notre organisation et le gouvernement en vue de la mise en oeuvre de réformes fiscales et de mesures pour lutter contre la fraude et d’autres pratiques illégales.
À titre d’exemple de collaboration, citons notre participation à plusieurs initiatives et comités gouvernementaux, notamment le Groupe consultatif sur le régime canadien de fiscalité internationale; le Comité consultatif sur l’économie clandestine de la ministre; l’Entente sur un cadre de travail entre l’Agence du revenu du Canada et les Comptables professionnels agréés du Canada, qui vise à aider le Canada à maintenir un régime fiscal de classe mondiale; le Comité consultatif public-privé du Régime de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes du ministère des Finances du Canada. Ce ne sont là que quelques exemples de collaboration entre notre organisation et le gouvernement en vue de la mise en oeuvre de réformes fiscales et de mesures pour lutter contre la fraude et d’autres pratiques illégales.
Cela dit, les contribuables ont toujours eu le droit de planifier leurs affaires financières de façon à réduire leurs impôts, à condition de respecter la loi. C’est ce que nous faisons tous quand, par exemple, nous cotisons à un REER. Le droit fiscal est toutefois très complexe, et il n’est donc pas surprenant que, dans certains cas, les contribuables et l’ARC ne parviennent pas à s’entendre.
C’est donc dans un esprit de collaboration que j’aimerais aujourd’hui vous présenter quelques suggestions en vue de remédier à certains problèmes. Premièrement, la législation sur l’impôt sur le revenu est extrêmement complexe et une simplification s’impose. Deuxièmement, à l’instar d’autres organisations nationales, d’universitaires et de groupes de réflexion, nous préconisons un examen exhaustif du régime fiscal. Troisièmement, nous pensons qu’il faut continuer de fournir à l’ARC les ressources dont elle a besoin pour faire respecter la loi, comme le prévoit le budget de 2016. Quatrièmement, il est temps d’entreprendre une réflexion sur l’équilibre à atteindre entre les besoins d’information objective de l’ARC et le droit des contribuables à obtenir des conseils confidentiels, et ce, pour assurer le bon fonctionnement de notre système d’autocotisation. Enfin, le gouvernement doit mener de vastes consultations auprès des contribuables et des différentes parties prenantes tout au long de ses travaux.
Les comptables professionnels agréés viennent en aide à des millions de Canadiens chaque année. Ils font d’innombrables heures de bénévolat aux comptoirs de préparation des déclarations de revenus et aux ateliers de littératie financière tenus un peu partout au Canada. Les citoyens nous font directement part de leurs préoccupations, et nous nous appuyons sur leurs commentaires lorsque nous témoignons devant des comités comme celui-ci.
Les contribuables canadiens ont le droit d’exiger un régime équitable, qui soit attrayant à la fois pour les entreprises et pour les gens de talent. CPA Canada préconise un régime fiscal qui répond aux intérêts de tous les Canadiens. Nous sommes heureux que le Comité et le gouvernement nous donnent l’occasion de participer à une discussion respectueuse sur la politique fiscale et vous remercions de nous avoir entendus aujourd’hui.
Merci beaucoup.
:
Merci, monsieur le président.
Je remercie tous les témoins de leurs présentations. Elles étaient riches en nuances et en informations. Le Comité a été bien servi par les témoignages que vous avez présentés aujourd'hui.
Je m'adresse au professeur Lareau ainsi qu'à Mme Thomas. Cela ne surprendra personne que je commence par cet enjeu.
[Traduction]
Madame Thomas, j'aimerais que vous donniez des explications plus approfondies concernant la complexité du régime fiscal, dont vous avez parlé, en fonction de son évolution au fil du temps et de l'incidence que cela a eue sur l'évitement fiscal et l'évasion fiscale. De façon plus générale, si vous aviez une recommandation à faire au Comité sur la façon de procéder à l'examen de ce régime, par quoi commenceriez-vous?
:
Comme je l'ai mentionné, les dispositions de la loi sont devenues de plus en plus complexes, compte tenu de l'habileté de certains cabinets pour ce qui est de faire preuve d'une imagination fertile pour créer des stratégies de plus en plus complexes. Certaines de ces stratégies sont valides. On parle dans ce cas d'optimisation fiscale. D'autres stratégies sont davantage à la limite de ce qui est entre l'esprit et la lettre de la loi. On parlera donc d'évitement fiscal, qui sera sanctionné par un tribunal quand il y a un abus touchant la loi.
Toutefois, le fardeau de la preuve appartient à l'Agence du revenu du Canada. C'est elle qui doit démontrer qu'il y a eu un abus. Or ici, on a un véritable problème, parce que ce fardeau de la preuve est lourd et complexe à établir. Voilà pourquoi je ne suis pas du tout convaincu que la règle générale anti-évitement, qui est entrée en vigueur en 1988, ait été la bonne réponse étant donné qu'on a créé un fardeau supplémentaire pour l'Agence du revenu du Canada.
Dans d'autres situations, il y a des fiscalistes qui prennent moins de précautions, qui tournent les coins plus ronds et qui se dirigent davantage vers l'évasion fiscale. On comprendra qu'on ne peut contrer, en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, chacune des stratégies d'évasion fiscale. Il serait impossible que la loi précise de ne pas faire une chose ou une autre. La loi prévoit donc des pénalités en cas d'évasions fiscales. Cependant, la complexité de la loi et la complexité à retracer l'évasion fiscale à grande échelle — internationale, il va sans dire — sont telles que le seul outil pour la contrer est le durcissement des pénalités à l'égard des créateurs de ces outils fiscaux.
Dans plusieurs cas, ce ne sont pas les clients qui ont conçu la stratégie fiscale. Je ne parle pas ici simplement de dissimuler de l'argent dans un compte en banque aux Bahamas qu'on ne déclare pas. Je parle de stratégies fiscales complexes où il y a des candidats à un poste d'administrateur et des gens qui sont derrière des écrans. Dans de tels cas, la seule façon de faire comprendre aux créateurs de ces artifices fiscaux qu'ils sont allés au-delà de la limite permise serait de les priver de leur liberté. L'emprisonnement devrait être sérieusement considéré.
L'Agence du revenu du Canada a des devoirs à faire afin de poursuivre les personnes et les entités en général, dans la mesure où la loi le permet. Ce ne sont pas seulement les gens qui ont signé un document, mais également les personnes responsables des gestes posés par un cabinet qui doivent faire face à la justice. Des sanctions financières représentent quelque chose de trop léger pour un cabinet d'importance. Peu importe à combien de millions de dollars s'élèvera la sanction financière, cela ne sera jamais suffisant. Seule la privation de la liberté sera une sanction appropriée dans bien des circonstances.
La complexité du régime fiscal canadien ne fait aucun doute; on voit la même chose dans d'autres pays. Le régime est devenu très complexe, notamment parce que c'est un important mécanisme, un important levier stratégique, pour stimuler l'économie et favoriser la prospérité des Canadiens.
Au fil des ans, le régime est devenu de plus en plus complexe, mais il n'a pas fait l'objet d'un examen exhaustif depuis l'examen de la Commission royale sur la fiscalité, en 1966. CPA Canada réclame un examen exhaustif du régime fiscal depuis fort longtemps, en plus des autres examens en cours.
Nous réclamons un examen exhaustif du régime fiscal canadien parce qu'il faut en réduire la complexité, le rendre plus concurrentiel, plus efficace et efficient et le rendre plus équitable pour les contribuables canadiens.
:
Encore une fois, j'ai commencé sur une note positive, mais j'ai été très critique à l'égard de l'ARC dans mes écrits au cours des 20 dernières années, au moins, jusqu'en 2013.
Un des problèmes a été révélé dans les fuites concernant le Liechtenstein, en 2007. Plus de 100 contribuables canadiens avaient des comptes bancaires secrets dans ce paradis fiscal européen. L'ARC a mené enquête sur ces contribuables pendant six ans. En fin de compte, seulement deux recommandations de poursuites contre ces contribuables ont été présentées au ministère public, mais le ministère public, le ministère de la Justice, a décidé de ne pas engager des poursuites. Il s'agit d'un cas manifeste de manque de communication entre les responsables des enquêtes sur les crimes potentiels ou les crimes allégués d'évasion fiscale à l'étranger et les gens du ministère de la Justice chargés des poursuites. À mon avis, faire appel à des avocats fiscalistes plus tôt dans le processus d'enquête permettrait d'empêcher ce genre de coupure.
Dans d'autres cas, nous avons le CANAFE, mais cet organisme est submergé de déclarations d'opérations douteuses, qui se comptent en centaines de milliers. Chez les chercheurs, nous disons parfois que c'est comme si on voulait boire avec un tuyau d'incendie. Le CANAFE est tout simplement submergé d'informations. Je n'ai pas l'impression que l'organisme collabore efficacement avec l'ARC pour débusquer les cas d'évasion fiscale à l'étranger.
Enfin, la GRC, notre police nationale, n'a presque pas de ressources pour enquêter sur tous les crimes économiques. Elle se concentre essentiellement sur la contrebande de cigarettes — un aspect manifestement important des crimes économiques transfrontaliers —, souvent dans les réserves indiennes. Cela dit, le Canada n'a pas un service de police fédéral qui peut aider l'ARC à débusquer ces criminels, tant à l'étranger qu'au Canada.
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Nous savons qu'en 2005, la société KPMG a écopé d'une amende de 400 millions de dollars américains; d'autres cabinets comptables ont reçu des amendes par la suite. Cela n'a pas été dissuasif.
On parle de sommes considérables d'argent; la seule façon de faire comprendre aux fraudeurs fiscaux que l'évasion fiscale est un vol, c'est de les priver de leur liberté. La personne qui veut commettre un vol dans une banque se couvre le visage. Celle qui vole ses voisins et les membres de sa famille par l'intermédiaire du régime fiscal se cache dans un paradis fiscal, derrière une société-écran, ce qui revient au même: elle se cache comme si elle commettait un vol de banque. La seule façon de lui faire comprendre qu'elle déjoue le système, c'est de lui retirer sa liberté. C'est la seule méthode qui sera efficace, à mon avis. Les peines d'emprisonnement ne devraient pas s'appliquer uniquement aux personnes qui signent les avis juridiques ou comptables, mais aussi aux hauts dirigeants de ces sociétés, car ils sont responsables des activités de leurs entreprises.
L'autre aspect qu'il convient de mentionner est la divulgation volontaire. Il est trop facile et trop simple pour une personne d'oeuvrer dans l'ombre pendant un certain temps et de revenir dans le système lorsqu'elle juge qu'il est temps de respecter les règles. Il n'y a aucune sanction pour ce genre de choses au Canada, contrairement à d'autres pays, où l'on fixe habituellement un délai de trois mois pour se mettre en règle, sous peine de sanctions sévères.
Les États-Unis ont un système permanent, mais à l'époque de l'affaire de l'UBS, en 2009, les gens avaient trois mois pour se mettre en règle. Les sanctions étaient de plus en plus lourdes, tandis qu'ici, on peut le faire n'importe quand, et il n'y a aucune sanction. Quel genre de message envoie-t-on aux autres?
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J’aimerais simplement préciser que CPA du Canada n’est pas un organisme de réglementation. Comme pour toutes les professions au pays, la réglementation pour les comptables est enchâssée dans la législation provinciale.
Cela dit, les organismes de réglementation provinciaux pour la profession de comptable prennent très au sérieux leur obligation de rendre des comptes au public. Nous avons harmonisé les codes de déontologie au pays qui respectent ou surpassent celui diffusé par le Conseil des normes internationales de déontologie de la profession comptable de la Fédération internationale des comptables. En matière de code de déontologie, nous avons d’excellentes pratiques exemplaires.
Ces codes de déontologie sont clairs: les pratiques illégales sont inacceptables et sont assujetties à un processus disciplinaire comprenant un processus d’enquête pour une plainte déposée, une enquête et, enfin, un processus disciplinaire.
À cet égard, les organismes de réglementation provinciaux peuvent imposer plusieurs sanctions, notamment des amendes et l’expulsion de la profession.
Chaque année, des milliers de dossiers sont réglés entre l’ARC et les contribuables. Je n’ai pas les données exactes avec moi.
Je n’ai pas non plus de données relatives à l’évitement fiscal agressif à l’étranger ou à la fraude fiscale, mais il n’est pas inhabituel pour le gouvernement de conclure un accord confidentiel avec un contribuable. C’est en quelque sorte un plaidoyer de culpabilité de la part du contribuable. Si je ne m’abuse, 95 % des gens accusés d’avoir enfreint le Code criminel au pays plaident coupables. Il existe un forum public où sont publiées les décisions rendues, mais la plupart des gens ne le consultent pas. Certains journaux publient des décisions.
Tout cela pour dire que, oui, ces accords sont chose normale. On peut remettre en question la clémence de l’accord, mais cela, c’est une autre histoire.
Merci.
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Merci, monsieur le président.
Ma première question est la suivante.
Lorsqu'un contribuable fait une erreur dans sa déclaration de revenus, il se fait rappeler à l'ordre par l'Agence du revenu du Canada et des amendes s'appliquent à son endroit. Cependant, quand on constate d'importants mécanismes comme ceux dont on a parlé, souvent, on demande que l'argent soit rapatrié sans imposer d'amendes.
J'aimerais savoir où se trouve la limite ou la barre qui est imposée à ce sujet. Pourquoi des citoyens doivent-ils payer des amendes alors qu'on demande aux gens qui ont placé de l'argent à l'extérieur du pays de le rapatrier sans leur imposer d'amendes? Après qu'ils se soient fait prendre ou après avoir risqué de se faire prendre, ils paieront simplement l'impôt qu'ils auraient autrement payé. Où est la limite à cet égard? Pourquoi y a-t-il une distinction semblable?
Monsieur Lareau et monsieur Cockfield, je vous invite à répondre à la question.
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Monsieur Cockfield, auriez-vous quelque chose à ajouter?
Je ne suis ni CPA ni avocate, mais il me semble que les normes professionnelles ne sont appliquées que lorsqu’un stratagème est jugé illégal. Si l’on va un peu plus loin, et c’est peut-être un peu farfelu ou exagéré comme exemple, mais dans le cas d’une infraction flagrante, disons une agression ou un meurtre, le Code criminel ne précise pas toutes les façons de commettre un meurtre pour que celui-ci soit jugé illégal. C’est le résultat qui compte, l’esprit de la loi.
Encore une fois, selon ce que j’entends aujourd’hui, il semble qu’il y a la règle du droit fiscal d’un côté et de l’autre, tout ce qui n’est pas noir sur blanc, disons, toutes ces failles. J’ai l’impression que le droit fiscal est appliqué selon la règle du droit et que pour tous ces exemples de stratagèmes et toutes ces failles qui ne sont pas précisément définis, l’esprit de la loi et le résultat sont appliqués différemment — et encore une fois, j’exagère peut-être — que d’autres crimes au titre du Code criminel. Pourquoi, selon vous?
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Ce qu’il y a d’intéressant à propos du droit fiscal, c’est la façon dont on est censé l’interpréter. Tout cela remonte à une vieille affaire anglaise impliquant le duc de Westminster. À l’époque, la Chambre des Lords a décrété que les citoyens pouvaient gouverner leurs affaires comme bon leur semble pour éviter de payer des impôts, pourvu qu’ils respectent la règle du droit. Cela a créé beaucoup de problèmes de jurisprudence au Canada au cours des 100 années qui ont suivi. Comme l’a souligné le professeur Lareau, nous avons tenté, en 1980, de corriger la situation en introduisant la règle générale antiévitement, la RGAE. Selon cette règle, non seulement la règle du droit est-elle importante, mais l’esprit de la loi aussi, et personne ne peut abuser de la Loi de l’impôt sur le revenu. Donc, c’est délicat. Cela dit, la Loi de l’impôt sur le revenu propose diverses pénalités applicables aux conseillers qui adoptent un comportement irresponsable ou négligent ou qui ferme délibérément les yeux. Comme je l’ai dit dès le début, une façon de régler le problème serait d’imposer ces pénalités aux conseillers en question.
Nous savons que les CPA sont réglementés. Évidemment, les avocats dans la salle savent que nous sommes également autoréglementés. J’ai publié un livre sur l’éthique juridique dans lequel j’ai annoté la douzaine de cas chaque année où la Société du Barreau du Haut-Canada a imposé des sanctions contre des avocats. Il y a donc des sanctions imposables, là aussi.
Toutefois, les sanctions les plus évidentes se trouvent dans la Loi de l’impôt sur le revenu. Comme l’a également souligné le professeur Lareau, elles peuvent être très sévères. Il est possible de s’attaquer aux conseillers, comme l’a fait le ministère de la Justice dans l’affaire des abris fiscaux de KPMG il y a une dizaine d’années. La société s’était vue imposer une amende de 450 millions de dollars. Il y a eu un cas d’abri fiscal encore plus important que l’on appelait le BLIPS — Bond Linked Issue Premium Structure — et d’autres structures connexes. C’était très différent, mais il y a des outils disponibles pour décourager ces comportements irresponsables.
Bien entendu, je ne commenterai pas l’affaire KPMG.
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Je n’ai pas de réponse précise à vous donner, mais je peux vérifier. D’ailleurs, il m’a été difficile de chercher d’où venait cette obligation réglementaire, car je n’en ai appris l’existence que récemment. Tout ce que je peux faire, c’est vous référer à un document qui nous a été fourni, ou qui nous sera fourni en format électronique, intitulé
U.S. Tax Shelter Industry: The Role of Accountants, Lawyers, and Financial Professionals. C’est un rapport publié en 2003 par un comité sénatorial, aux États-Unis.
Avec votre permission, je peux vous lire un court passage qui reflète bien la situation dont nous discutons, ou je peux vous diriger vers le passage en question. C’est à la page 13. On parle en détail de cette exigence et de la réalité selon laquelle de grands cabinets comptables choisissent de ne pas enregistrer leurs produits, sachant très bien que cela contrevient à la loi, et qu’il s’agit pour eux d’une décision calculée. Les preuves fournies au Sénat américain montrent que ces cabinets ont calculé les profits et les économies d’impôts possibles en raison du manque d’application de cette obligation d’enregistrement. C’est comme si l’affaire de la Ford Pinto était le résultat d’un calcul: il est moins dispendieux de faire réparer la Pinto que de rembourser les gens qui ont perdu la vie dans un de ces véhicules. Bon, ce n’est pas tout à fait la même chose, mais c’est une décision calculée dans le but de servir ses propres intérêts.
J’ajouterais, pour répondre à votre question sur les professions autoréglementées, que j’ai passé de 8 à 10 heures à éplucher tous les cas signalés depuis 1987, soit plus de 30 années de cas. Ils sont disponibles dans Internet. J’ai examiné les dispositions relatives aux comportements illégaux ainsi que la réputation de la profession concernée. Je n’ai découvert aucun cas d’évasion fiscale à l’étranger. Les cas de fraude fiscale étaient domestiques. Aucun à l’étranger.
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La divulgation de renseignements confidentiels irait à l'encontre de nos règles et de nos obligations professionnelles.
Selon une décision rendue dans une affaire l'an dernier, la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada contre la Reine, il est inconstitutionnel d'imposer aux avocats l'obligation de déclarer certains renseignements sur les clients au CANAFE, dans certaines circonstances.
Il y a plus de latitude en ce qui touche la réglementation relative aux comptables, mais je pense que la plupart des comptables s'engageraient avec beaucoup de réticence dans cette voie.
Je le répète, le programme de protection des dénonciateurs est une bonne idée. Peut-être qu'il faudrait le modifier un peu. Il est encore trop nouveau pour voir s'il portera ses fruits, mais je suis convaincu qu'il s'agit d'une mesure positive.
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C'est un très bon point.
Je n'ai pas dit cela, mais c'est très difficile de lutter contre ces gens. La plupart des pays réussissent très mal. Je dis parfois que les Américains attrapent la pointe de l'iceberg, mais au moins ils attrapent la pointe. Les États-Unis ont la réputation d'être très agressifs: ils ont 500 vérificateurs, notamment, qui voyagent partout dans le monde. Les Américains sont donc souvent donnés comme exemple. Les Allemands représentent un autre bon exemple. Avant les Panama Papers, je pense qu'ils avaient 300 vérificateurs qui défonçaient des portes, qui examinaient des dossiers d'impôts et tout le reste. Enfin, le bureau d'impôt de l'Australie, l'Australian Tax Office ou l'ATO, est très reconnu pour ses politiques innovatrices visant à déceler les cas d'évasion fiscale à l'étranger. Le Canada a adopté un système d'évaluation des risques semblable à celui de l'Australie.
Voilà les trois exemples que nous devrions examiner de près, selon moi.
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Je ne connais pas de données concrètes.
Je crois que, traditionnellement, les Américains recevaient beaucoup plus de financement; en plus, ils ont une grande armée formée de la DEA, de l'ICE, des autorités douanières, du FBI et d'autres organismes qui aident à trouver les coupables d'évasion fiscale et de blanchiment d'argent à l'échelle internationale. Or, les Américains viennent de réduire considérablement leur budget et, dans les dernières années, ils ont congédié un grand nombre de vérificateurs internationaux pour des raisons politiques. Il y a donc beaucoup de discussions. C'est une situation très problématique.
Je pense que les Allemands aussi ont investi plus de ressources dans le problème. Comme je l'ai dit au début, les ressources additionnelles versées à l'ARC sont les bienvenues. Je crois qu'elles aideront beaucoup.
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Dans mon bureau de circonscription, nous recevons habituellement la visite d'un propriétaire de petite entreprise ou d'un parent seul qui fait l'objet d'une vérification par l'ARC. Ces gens reçoivent des lettres et des appels de l'ARC. Ils lisent les nouvelles, ils sont bien informés et ils sont très contrariés — c'est le moins qu'on puisse dire — par le fait que les Canadiens riches s'en sortent sans payer leur juste part. À mon humble avis, l'ARC est trop agressive envers le Canadien moyen qui tente simplement de nourrir et d'habiller ses enfants.
Monsieur Howlett, vous soutenez qu'il y a de l'ingérence politique au sein de l'ARC. En fait, d'après ce que j'ai entendu aujourd'hui, je dirais que cela se produit la plupart du temps. Vous avez dit précisément que des dossiers avaient été abandonnés et n'avaient pas été portés en justice parce qu'il y avait eu ingérence politique. Puis, quand d'autres membres du Comité vous ont demandé de fournir des preuves à l'appui de cette affirmation, à mon humble avis, monsieur, et sauf votre respect, vos réponses portaient à croire qu'on ne pouvait pas faire une telle affirmation. Vous dites qu'il y a de l'ingérence politique au sein de l'ARC, mais que vous ne pouvez pas le prouver. Vous ne pouvez pas fournir un seul élément factuel, ou nommer un vérificateur ou un fonctionnaire de l'ARC qui pourrait donner un exemple concret.
J'ai travaillé sur Bay Street. Les rumeurs se propagent vite. En fait, c'est probablement pire à Ottawa, dans la bulle.
Je prends ce que vous dites très au sérieux. Je pense que les gens de ma circonscription et tous les Canadiens prendraient quelque chose comme l'ingérence politique à l'Agence du revenu très au sérieux. Je vous conseille donc vivement de fournir au Comité tout renseignement concret que vous avez pour que nous puissions nous acquitter de notre tâche de représentant élu et redresser la situation, parce que l'allégation que vous venez de faire est très grave.
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Merci, monsieur le président.
Messieurs Lareau et Cockfield, je vous remercie de partager votre expertise avec nous.
Deux éléments ressortent de vos témoignages, à savoir la complexité de l'évasion fiscale et son caractère international.
Vous n'êtes pas sans savoir que, dans le dernier budget fédéral, nous avons investi 444 millions de dollars pour que l'Agence du revenu du Canada dispose de la technologie, des moyens et aussi des équipes nécessaires pour s'attaquer à l'évasion fiscale. Nous avons également mis l'accent sur la coopération internationale.
À ce sujet, j'aimerais savoir quelles sont d'après vous les meilleures pratiques en matière de coopération internationale à ce sujet. Comme nous le savons, on parle d'un phénomène international. Le Canada pourrait être appelé à combattre de façon efficace l'évasion fiscale. Je constate que MM. Lareau et Cockfield ont mentionné la rapidité, la complexité et, surtout, le caractère international des divers régimes fiscaux ainsi que la façon dont les gens en bénéficient.