:
Merci, monsieur le président.
C'est véritablement un plaisir pour moi de comparaître devant votre comité alors que vous entamez l'examen de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité (blanchiment d'argent) et le financement des activités terroristes. J'utilise aussi le sigle plus connu, soit LRPCFAT pour désigner la loi ou je dis tout simplement « la loi ».
Aujourd'hui, j'ai l'intention de vous expliquer brièvement combien il est important de combattre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme et de vous présenter les buts et la structure du Régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Je parlerai également du processus d'examen par les pairs internationaux qu'applique le Canada et je décrirai les efforts que nous avons déployés conjointement avec nos partenaires fédéraux et du secteur privé en vue d'évaluer et de renforcer la participation des pairs internationaux. En collaboration avec nos partenaires fédéraux, nous avons résumé toutes ces données dans un document de travail publié hier. Ce document est destiné à appuyer l'examen qu'entreprend actuellement votre comité et nous espérons qu'il sera utile pour alimenter vos délibérations.
[Français]
Le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes sont des crimes qui facilitent et récompensent la commission d'autres crimes, comme ceux qui sont perpétrés par le crime organisé, par des terroristes ou des groupes terroristes, de même que les actions de ceux qui pratiquent l'évitement fiscal et l'évasion fiscale.
Ces crimes de nature financière peuvent prendre place au Canada ou à l'étranger, mais ils touchent tous les Canadiens. C'est pour faire face à ces menaces que le Régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité a été établi en 2000 et qu'on y a ajouté le mandat concernant la lutte contre le financement des activités terroristes en 2001.
[Traduction]
Le régime est destiné à couper les élans des individus qui cherchent à financer les activités criminelles et le terrorisme en utilisant à des fins criminelles les institutions financières et d'autres entités canadiennes. Il vise également à fournir des outils appropriés aux organismes d'application de la loi afin de lutter contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes tout en respectant les droits des Canadiens à la protection de leur vie privée, et en réduisant au minimum l'obligation pour les entités déclarantes du secteur privé en matière de divulgation.
Le Canada a une économie stable et ouverte, un système financier accessible et avancé, ainsi que de solides institutions démocratiques. Les individus qui cherchent à blanchir des produits de la criminalité ou à amasser, transférer et utiliser des fonds à des fins terroristes, tentent d'exploiter certaines de ces forces à leur avantage.
[Français]
Parce qu'ils agissent comme facteurs de dissuasion, il est important d'avoir des régimes efficaces en place afin de lutter contre ces crimes de nature financière et de protéger les Canadiens, l'intégrité des marchés et le système financier mondial.
[Traduction]
Un cadre législatif et réglementaire solide est nécessaire pour détecter et prévenir les activités criminelles. Ce cadre a évolué et s'est renforcé au cours des dernières années en adoptant et en adaptant les meilleures pratiques internationales s'appuyant sur des évaluations des menaces et des risques à l'échelle nationale et sur une étroite collaboration avec nos partenaires. Cela permet au Canada de respecter ses engagements internationaux dans la lutte contre les activités criminelles et terroristes transnationales et d'apporter de nouveaux renseignements et de nouveaux outils aux efforts de sécurité nationale.
Le Canada adopte une approche complète et coordonnée visant à lutter contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Le régime fait intervenir 13 ministères et organismes fédéraux, en plus des organismes d'application de la loi des diverses régions du pays.
Comme je l'ai dit, l'objectif central du régime et de la loi est de détecter et de prévenir les activités criminelles et le financement du terrorisme tout en facilitant les enquêtes et la poursuite de ces activités criminelles. Par conséquent, les objectifs du régime visent tout autant à empêcher l'entrée de fonds illicites dans le système financier canadien qu'à maintenir une piste susceptible d'aider les organismes d'application de la loi dans la détection et la poursuite de ces infractions.
[Français]
Les entités déclarantes jouent aussi un rôle très important dans l'atteinte de ces objectifs. Il s'agit des institutions financières ainsi que des entreprises et professions non financières désignées, qui sont les gardiens du système financier.
En vertu de la loi, il leur faut: identifier leurs clients de façon appropriée et tenir des registres de cette documentation; exercer leur devoir de vigilance à l'égard de leurs clients; et surveiller leurs opérations de façon continue et soumettre des rapports obligatoires.
[Traduction]
Le Centre d'analyse des opérations et déclarations financières du Canada, le CANAFE, organisme canadien du renseignement financier, reçoit ces rapports et analyse les informations financières qu'ils contiennent. En outre, le CANAFE est un organisme de réglementation qui a pour mission de faire respecter les obligations que la loi impose aux entités déclarantes.
Le cadre stratégique contient également des mesures indispensables pour l'application de la loi dans le cadre des efforts destinés à prévenir et déceler le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Ces mesures consistent notamment à exiger une documentation appropriée à laquelle les organismes d'application de la loi peuvent avoir accès sur ordonnance du tribunal. Cela comprend aussi les rapports que reçoit le CANAFE lorsque les soupçons dépassent un certain seuil.
Une fois que le CANAFE a analysé les rapports, le renseignement financier résultant susceptible de donner matière à des poursuites est divulgué aux organismes d'application de la loi lorsque les soupçons sont suffisamment étayés pour que l'on puisse penser que ces informations seraient pertinentes dans le cadre de l'enquête relative à une infraction de blanchiment d'argent ou une infraction de financement d'activités terroristes. À leur tour, les organismes d'application de la loi et chargés de la sécurité nationale ainsi que d'autres organismes d'enquête, appuyés par les activités de collecte de renseignements financiers menées par le CANAFE, entreprennent des enquêtes sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, sur d'autres actes criminels axés sur la recherche de profits et les menaces à la sécurité du Canada, conformément à leurs mandats individuels, dans le but d'interrompre, de poursuivre et de sanctionner ces activités criminelles.
[Français]
Dans ses efforts visant à protéger les Canadiens au moyen des mesures prises pour lutter contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes, le gouvernement du Canada s'est engagé à respecter la répartition des compétences constitutionnelles, la Charte canadienne des droits et libertés, ainsi que le droit des Canadiens à la protection de leurs renseignements personnels.
Bien que la loi exige que de l'information financière de nature privée soit fournie au CANAFE, elle contient aussi des dispositions strictes qui visent à s'assurer que les droits en vertu de la Charte et en matière de protection des renseignements personnels sont protégés.
[Traduction]
La LRPCFAT précise l'information que le CANAFE peut recevoir et divulguer. La loi mentionne les organismes d'application de la loi et les organismes de renseignement précis auxquels le CANAFE peut divulguer son renseignement financier. La loi limite aussi les circonstances dans lesquelles le CANAFE peut divulguer de l'information à ces organismes. Le CANAFE doit avoir des motifs raisonnables de penser que l'information est pertinente à une enquête ou poursuite à l'égard d'une infraction liée au blanchiment d'argent, au financement d'activités terroristes, ou pertinente à l'enquête sur des menaces à la sécurité du Canada. Contrairement aux autres organismes de renseignement, le CANAFE ne mène pas d'enquête. Cet ensemble de garanties fait en sorte que le CANAFE demeure indépendant des organismes d'application de la loi.
[Français]
Depuis la promulgation de la loi, en l'an 2000, le régime a fait l'objet de deux examens parlementaires, de trois examens du Commissariat à la protection de la vie privée et de plusieurs évaluations externes. Ces exercices ont contribué au développement de modifications du cadre législatif visant à répondre à l'évolution des menaces et à mieux soutenir les efforts des forces de l'ordre. Au fil du temps, le cadre a évolué pour permettre l'ajout de nouvelles entités déclarantes et de nouveaux destinataires pouvant recevoir les renseignements du CANAFE et pour approfondir les obligations existantes ou en ajouter de nouvelles.
[Traduction]
Comme je l'ai mentionné, un cadre efficace est essentiel à la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes au Canada et dans le monde. Ces opérations malveillantes font fi des frontières nationales et les régimes nationaux stricts de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes renforcent l'intégrité et la stabilité des secteurs financiers du monde. En raison de l'interconnectivité du système financier, la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes peut souffrir de la faiblesse de certains liens dans la chaîne des efforts entrepris par les autorités nationales.
[Français]
Le Groupe d'action financière, le GAFI, est un organisme intergouvernemental qui établit les normes mondiales en matière de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement des activités terroristes. Le GAFI surveille la mise en oeuvre de ces normes par les États au moyen d'évaluations mutuelles et de la publication de rapports publics, afin de faire en sorte que tous les pays membres soient jugés sur un pied d'égalité. Le Canada est un membre fondateur du GAFI et participe toujours activement à ses travaux.
[Traduction]
En 2016, le Groupe d'action financière a publié un rapport d'évaluation mutuelle du Canada. Globalement, le rapport souligne que le Canada dispose d'un ensemble solide de lois et de règlements sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et que le régime est efficace. Cependant, des faiblesses ont été observées et le rapport note certains secteurs où des mesures techniques pourraient être appliquées pour que le cadre respecte les normes internationales afin d'être encore plus efficace.
Selon le rapport, le Canada comprend bien les risques auxquels il est exposé en matière de recyclage des produits de la criminalité et de financement des activités terroristes, et la collaboration et la coordination sont en général adéquates sur le plan des politiques et des opérations. En outre, le rapport considère que le Canada dispose d'institutions financières qui ont une bonne compréhension de leurs risques et obligations et qui appliquent généralement des mesures adéquates d'atténuation. Le rapport estime que le Canada a des entités déclarantes qui sont généralement soumises à un cadre approprié de surveillance sensible aux risques; un renseignement financier utilisé par les organismes d'application de la loi pour faciliter les enquêtes, pour donner la priorité à des poursuites en cas d'activités de financement du terrorisme et pour fournir une assistance juridique mutuelle et utile, ainsi que dans les cas d'extradition; un régime de sanction global contre l'Iran et la République populaire démocratique de Corée.
Cela étant dit, le processus d'évaluation mutuelle a permis de repérer certains secteurs du régime canadien qui pourraient être améliorés. C'est le cas notamment de la disponibilité limitée d'informations précises sur la propriété effective pouvant servir aux autorités compétentes; du fait que la profession juridique n'est pas assujettie à la LRPCFAT au Canada; du fait que d'autres secteurs vulnérables ne sont pas couverts. C'est le cas par exemple des sociétés de financement et de crédit-bail, ainsi que des prêteurs hypothécaires non réglementés. Le rapport relève également une lacune dans l'application des obligations de la loi relativement aux personnes politiquement vulnérables, que l'on désigne par le sigle PPV, soit les dirigeants des organisations internationales, et aux exigences en matière d'information sur la propriété effective dans le secteur des entreprises et professions non financières désignées. L'évaluation internationale a noté également la nécessité d'enquêter davantage sur le blanchiment d'argent et de multiplier les poursuites, en particulier sur les stratagèmes plus sophistiqués de recyclage des produits de la criminalité et de financement des activités terroristes, notamment les infractions commises par des blanchisseurs d'argent professionnels tiers. Je souligne également que le rapport estime que les pénalités prévues en cas d'infractions à nos lois ne sont pas assez proportionnelles ni dissuasives.
Les conclusions de l'évaluation mutuelle sont les bienvenues et elles confirment dans de nombreux cas les points de vue présentés par nos partenaires fédéraux et d'autres intervenants du secteur privé. Nos partenaires fédéraux ont notamment présenté leurs points de vue dans le document intitulé Évaluation des risques inhérents au recyclage des produits de la criminalité et au financement des activités terroristes au Canada, rapport publié en 2015.
[Français]
Sachant que cet examen parlementaire aurait bientôt lieu, nous avons travaillé de concert avec nos partenaires afin de préparer un document de discussion soulignant des champs d'investigation potentiels qui pourraient permettre d'améliorer le cadre législatif.
[Traduction]
Les orientations législatives possibles présentées dans le rapport publié hier s'inspirent grandement de l'évaluation mutuelle et sont organisées autour de cinq thèmes. Le premier concerne les lacunes législatives et réglementaires. Le deuxième porte sur l'amélioration de l'échange de l'information superposée à la protection des droits des Canadiens. Le troisième vise le renforcement de la capacité de renseignement et de l'exécution de la loi. Le quatrième porte sur la modernisation du cadre et de sa surveillance. Le dernier thème se rapporte aux définitions et dispositions administratives.
[Français]
Le gouvernement a déjà commencé à agir sur la base des grandes orientations tracées dans le document. Par exemple, à leur réunion de décembre 2017, les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux des Finances se sont engagés à collaborer avec leurs collègues ministériels respectifs afin de modifier les lois en place pour améliorer la transparence des sociétés, pour les obliger à détenir de l'information sur leurs propriétaires effectifs.
Ces efforts permettront aux autorités compétentes de suivre la trace des transactions douteuses à travers les couches d'opacité jusqu'aux personnes physiques qui sont à l'origine de ces transactions ou qui en bénéficient.
[Traduction]
Nous pensons que le Comité entendra des représentants de la société civile et du secteur privé et que les différentes parties exposeront des points de vue différents quant à la façon d'atteindre l'équilibre approprié entre les objectifs parfois conflictuels au sein du régime. Il faut trouver le bon équilibre entre les efforts visant à réduire le fardeau des entités déclarantes qui sont en première ligne dans la lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et au financement des activités terroristes; l'utilisation de l'innovation afin de mettre en place de nouvelles façons de respecter les obligations tout en réduisant le fardeau du secteur privé; les efforts pour contrer les menaces nouvelles et changeantes, y compris de nouvelles mesures et des normes internationales renforcées afin d'améliorer la sécurité des Canadiens; les efforts visant à garantir activement les droits à la vie privée et les protections constitutionnelles des Canadiens en gardant constamment à l'esprit les limites et les contraintes qu'ils entraînent.
Alors que vous êtes sur le point d'amorcer vos délibérations, nous tenons par ailleurs à préciser que toutes les améliorations que l'on souhaitera apporter au régime ne nécessitent pas des changements législatifs. Dans notre document de travail, nous présentons des exemples concrets qui illustrent de nouvelles façons pour le secteur public de collaborer avec ses partenaires du secteur privé afin de moderniser nos efforts et d'en améliorer l'efficacité. Le Projet Protection en est un exemple. Il s'agit d'une initiative du secteur privé visant à combattre la traite de personnes. Le Projet Protection a mobilisé des partenaires au sein des autorités existantes afin de mettre au jour les transactions particulières caractéristiques des crimes liés à la traite de personnes dans le commerce du sexe. Cette initiative a permis d'obtenir des résultats concrets utiles pour les organismes d'application de la loi. Ce modèle a été appliqué à d'autres types de criminalité et a permis de mener à bien des enquêtes dans différents types d'activités liées au trafic de drogue. Au cours des dernières semaines, le CANAFE a lancé une nouvelle alerte opérationnelle ciblant le trafic de fentanyl.
[Français]
En conclusion, il est important que le Canada reste activement engagé dans la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme. Cela nécessite que notre cadre continue d'évoluer afin de demeurer robuste et efficace, de répondre aux nouvelles menaces et vulnérabilités et de respecter les normes internationales.
[Traduction]
Nous appuyons sincèrement le processus d'examen parlementaire. Nous avons travaillé en étroite collaboration et avec succès avec des partenaires nationaux et internationaux afin d'évaluer les mesures tangibles qui permettront d'intervenir dans le secteur toujours changeant du crime de nature financière. Notre document de travail fait état des secteurs où des mesures doivent être prises. Nous sommes prêts à appuyer vos délibérations, à entendre ce que vous pensez de notre travail et à découvrir les priorités que vous fixerez en matière de mesures à prendre.
Monsieur le président, je vous remercie de votre attention et je me tiens prête à répondre aux questions.